Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
prince recula vers la Rochelle et
repassa la mer, ne remportant de sa funeste et vaine expédition
qu’un surcroît de haine et de mépris de la part des peuples qui le
détestaient.
Pour comble de disgrâce et de punition, Jean
fut excommunié par le pape, qui publia même une croisade contre
lui.
Philippe songea alors à marier Alix, fille
aînée de Constance et de Gui de Thouars, et héritière du duché de
Bretagne. À cet effet, il jeta les yeux sur Pierre de Dreux,
surnommé Mauclerc, fils de Robert II comte de Dreux, qui était
petit-fils de Louis le Gros, roi de France. Mais avant de le marier
avec Alix, il exigea de lui qu’il observerait toutes les conditions
du traité conclu avec Gui de Thouars ; qu’il lui ferait
hommage lige, et qu’il recevrait les hommages des Bretons avec
cette clause,
sauf la fidélité du roi de France
,
notre
sire,
et ne les dépouillerait d’aucun de leurs fiefs qu’après
que la cour du roi les aurait condamnés à les perdre. Pierre
Mauclerc jura d’observer ces conditions, et son frère Robert de
Dreux, troisième du nom, déclara expressément qu’il consentait à
être caution pour lui, et que le roi fit saisir, ses terres en cas
que le duc de Bretagne manquât à l’exécution de ce qu’il avait
promis. Dès lors Pierre Mauclerc fut regardé comme duc de Bretagne,
même avant d’être marié à Alix, qui n’avait encore que onze
ans.
Pour se distinguer de ses autres frères, il
écartela des hermines les armes de Dreux. Ses successeurs portèrent
comme lui les armes de Dreux, jusqu’au duc Jean III, qui les
quitta et ne retint que les hermines, lesquelles depuis ce temps-là
furent regardées comme les armes de la Bretagne.
Après que Pierre Mauclerc eut été publiquement
reconnu duc de Bretagne, Gui de Thouars alla demeurer sur les
terres de sa seconde femme à Chemillé, où il mourut en 1213,
l’année même de sa retraite.
CHAPITRE VI
Pierre Mauclerc. – Jean le Roux. – Jean II. –
Arthur II. – Jean III.
(1214 – 1347)
Pierre Mauclerc, le prince le plus habile de
son siècle, mais d’un esprit inquiet et turbulent, se proposa
d’abord de régner sur la Bretagne avec une autorité absolue. Son
surnom lui vint de ce qu’après avoir été destiné à la cléricature,
et avoir longtemps étudié dans les écoles de Paris, il avait pris
le parti des armes, tout en conservant un talent remarquable pour
la dialectique.
Mauclerc
veut dire, selon quelques
auteurs,
méchant clerc,
et suivant d’autres, à l’avis
desquels nous croyons devoir nous ranger,
grand clerc (magnus
clericus). Clergie
et littérature,
clerc
et écolier
étaient des termes équivalents pendant tout le moyen âge.
Pierre n’avait pas tardé à se distinguer dans
la carrière militaire. Philippe-Auguste l’avait armé chevalier, et
le nouveau duc montrait autant de finesse et de talent que de
bravoure. La guerre occupa ses premiers moments. Il se ligua contre
Jean Sans-Terre avec Philippe-Auguste, qui ne pouvait pardonner au
monarque anglais la mort d’Arthur et le massacre de cent
quatre-vingts nobles enfants donnés en otage par les villes du
Poitou. À la tête de sept cents chevaliers, Pierre combattit les
Anglais à Dam. Apprenant que le roi d’Angleterre allait passer avec
une armée en Bretagne, où il se proposait de faire une incursion,
il s’empressa de rentrer dans ses États, et arriva à temps pour
empêcher l’ennemi de s’emparer de Nantes. Déconcerté dans ses
projets dévastateurs, Jean Sans-Terre se hâta de quitter un pays si
vigoureusement défendu. De retour dans son duché, Pierre se fit
rendre compte de l’état des revenus publics et de l’administration
civile et judiciaire de ses États. Beaucoup plus instruit que la
plupart des princes de son temps qui savaient à peine lire, il fixa
son attention sur les abus les plus invétérés et les plus criants
qui désolaient la législation de ce temps. Il se promit de porter
un prompt remède à tant de maux, et d’abolir les coutumes cruelles
qui entachaient les mœurs de son époque.
Jean Sans-Terre mourut en 1216. Objet de
l’exécration des Anglais, des Français et des Bretons, il était
depuis plusieurs jours en proie à une fièvre maligne, lorsqu’au
passage de Cross-Keys il vit emporter par la marée montante les
chariots qui contenaient ses joyaux, sa couronne et ses trésors. La
douleur que cette perte causa à son avarice fut telle, qu’il expira
trois jours après. On
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