Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
soutenir des
sièges, marcher le casque en tête et l’épée à la main, commander
comme le plus habile capitaine et combattre comme le soldat le plus
intrépide. Ferme dans l’adversité, elle ne perdit jamais l’espoir
dans les affaires les plus désespérées : son assurance en
inspirait aux autres. D’un esprit pénétrant et solide, elle était
très-habile dans les négociations, et sa politique égalait son
courage.
Elle était à Rennes avec son fils, à peine âgé
de trois ans, lorsque son mari fut fait prisonnier à Nantes. Elle
prit son enfant dans ses bras, et, vêtue de longs habits de deuil,
parcourut toutes ses villes, disant au peuple et aux soldats
assemblés sur son passage :
« Mes amis, ne vous défiez de la grâce de
Dieu. Nous sommes grandement infortunés de ce qui est advenu en la
personne de mon seigneur ; mais j’espère, par la même grâce,
qu’il sortira de là où il est, tôt ou tard, et qu’encore nous le
verrons sain et sauf. Prenez cœur, et ne veuillez abandonner celui
qui a mis toute son espérance, après Dieu, en vous et en votre
loyauté ; et si Dieu nous défavorise tant qu’il y demeure, je
mets sous votre garde son héritier légitime, de son sang, et nourri
sous espérance qu’il sera un jour homme de bien et de valeur, et,
croissant, rétablira la perte de son père, malgré ses ennemis,
lesquels, à cette heure, lui occupent sa terre. »
Puis montrant son pauvre enfant aux seigneurs
restés fidèles à sa cause, et qui pleuraient en l’écoutant, elle
leur disait : « Ha ! ha ! seigneurs, ne vous
esbahissez mie de mon seigneur que nous avons perdu. Ce n’estoit
qu’un homme. Véez cy mon petit enfant qui sera, si Dieu plaist, son
restorier, et vous fera des biens assez ; et j’ai de l’avoir à
planté (en abondance), si vous en donneray et vous pourchasseray
(trouverai) tel capitaine par quoy serez réconfortés. »
En même temps Jeanne renforça les garnisons de
toutes ses places, et distribua de l’argent à tous ceux qui
portaient les armes pour son parti. Elle se rendit ensuite à
Hennebon, où elle passa l’hiver, ne cessant d’envoyer visiter ses
places et faisant exhorter ses partisans à lui être fidèles.
Cependant Philippe de Valois fit proposer à la comtesse de
consentir que la Bretagne fût mise en séquestre entre ses mains,
pour en disposer en faveur de celui dont le droit lui paraîtrait le
meilleur, afin d’éviter une guerre longue et cruelle. Ce piège
était trop grossier pour séduire la comtesse : elle feignit
pourtant de s’y laisser prendre ; et pour gagner du temps,
elle consentit à une trêve de quelques mois.
Au commencement du printemps la guerre se
ralluma. Le duc de Normandie envoya à Charles de Blois douze mille
hommes d’armes, et Charles lui-même partit de Nantes avec ses
troupes pour aller faire le siège de Rennes, où commandait
Guillaume de Cadoudal. L’attaque et la défense furent d’abord
très-vigoureuses ; mais les bourgeois, bientôt las du siège,
se saisirent du commandant et capitulèrent malgré lui. Charles
entra dans Rennes, et Cadoudal, suivant les conditions de la
reddition qui accordaient aux partisans de la comtesse de Montfort
la permission de se retirer où ils voudraient, se rendit à
Hennebon. Ce fut de cette ville forte que la comtesse envoya en
Angleterre Amaury de Clisson, en qualité d’ambassadeur, pour
demander du secours à Édouard. Amaury conclut avec ce prince un
traité, en vertu duquel le comte de Northampton fut désigné pour
recevoir l’hommage de Jeanne, tant en son nom qu’en celui de son
fils, et pour le demander aussi à Amaury, comme tuteur et gardien
du jeune comte de Montfort. Par le même traité, Amaury s’obligea à
livrer au roi d’Angleterre toutes les villes et tous les ports de
la Bretagne qu’il jugerait à propos de réclamer, et il fut stipulé
que le jeune comte de Montfort épouserait une des filles d’Édouard,
qui porterait le titre de duchesse de Bretagne. Cette mesure, qui
valut au fils de Montfort le trône ducal, attira sur ses sujets des
calamités innombrables : elle ne fit que cimenter encore avec
plus de force cette haine implacable que dans les siècles suivants
les Bretons parurent avoir vouée aux Anglais.
Bientôt Charles de Blois vint assiéger
Hennebon, déterminé à finir la guerre par la prise de cette ville,
dans laquelle la comtesse s’était enfermée avec son fils. Dès que
l’armée ennemie parut à
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