Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
vieux chêne, entre Ploërmel et Josselin, dans une
lande dite la lande de Mi-Voie. Le jour du combat fut mis au
samedi, veille du dimanche où l’on chante à l’introït de la messe,
Lœtare, Jérusalem ;
c’est celui qui précède le
dimanche de la Passion (27 mars 1351).
Dix chevaliers et vingt écuyers, tous Bretons,
s’adjoignirent à Beaumanoir, qui n’eut que l’embarras du choix dans
la noblesse, impatiente de se mesurer avec l’ennemi du pays. Quant
à Bemborough, il eut grand’peine à trouver ses trente soutiens
parmi les guerriers de sa nation. Sa petite troupe se composa de
vingt Anglais, six Allemands et quatre Bretons, partisans de
Montfort. Parmi les Anglais, Thommelin Belliford combattait avec un
maillet d’acier du poids de vingt-cinq livres, et Hucheton de
Clamaban se servait d’une faux tranchante d’un côté, hérissée de
crochets de l’autre, et dont tous les coups étaient mortels.
Bemborough arma le premier au rendez-vous, et
les Bretons ne tardèrent pas à paraître. Des deux côtés, les
combattants étaient armés à leur gré, d’épées, de lances, de
poignards et de
fauchons,
sabres courts et recourbés comme
des cimeterres. Les deux chefs haranguèrent leurs
compagnons :
« Amis, dit Beaumanoir, que Dieu nous
fasse croître en vertu ! nous avons fait dire des messes, et
reçu l’absolution au nom du roi Jésus ! Il nous donnera la
force et l’avantage. Ce que je requiers de vous, c’est d’avoir
bonne contenance. Serrez-vous l’un près de l’autre, comme vaillants
et sages. Les Anglais veulent notre perte, montrez-leur seulement
votre fier visage, et malheur à Bemborough ! »
« Seigneurs, disait Bemborough de son
côté, voici l’instant où nous devons nous réjouir. Merlin, dont
j’ai fait consulter les livres, a prédit que nous aurons
aujourd’hui pleine victoire sur les Bretons. Nous tuerons ou
prendrons Beaumanoir et tous ses compagnons. Nous amènerons ceux
qui seront vivants à notre gentil roi Édouard, qui les traitera à
son plaisir. La Bretagne bientôt et toute la France lui
appartiendront, et nous pourrons aller jusques à Paris ; car
qui oseroit nous regarder en face ? »
Bemborough cependant fit signe à Beaumanoir
qu’il voulait lui parler. Beaumanoir s’avança, et le capitaine
anglais lui dit, d’un ton singulièrement peu d’accord avec le
discours tout récent : Notre entreprise, ce me semble, a été
faite à l’étourdie. Remettons cette journée à d’autres temps.
Soyons amis, Beaumanoir. J’enverrai prendre les ordres du noble
Édouard, vous vous adresserez au
roi
de
Saint-Denis,
et, s’ils nous approuvent, nous nous retrouverons
ici à jour fixé. – Cette réflexion est bien tardive, répondit
Beaumanoir ; toutefois je consulterai mes amis. »
« Qui de vous, leur dit-il en revenant
vers eux, veut ajourner l’affaire ? Bemborough le propose, et
chacun peut s’en aller sans avoir frappé un chétif coup !
Dites-m’en votre pensée. Quant à moi, j’en jure de par le grand
Dieu du ciel, je ne céderais pas cette occasion de bataille pour
tout l’or de la terre. – Quoi ! s’écria Yves Charruel irrité,
ne sommes-nous pas ici gens portant épées, dague et lances, et
venus pour combattre ? On se gausserait de nous. Soit maudit,
de par saint Honoré ! quiconque voudroit ajourner le
combat ! – Allons donc à la bataille ! » reprit
Beaumanoir.
Quand Bemborough sut cette réponse, il
dit : « C’est pourtant grande folie d’exposer ainsi à la
mort la fleur de la duché ! Quand tous seront tués, la
querelle de nos princes ne sera amendée, ni avancée d’un pas ;
et jamais ne trouvera-t-on si braves chevaliers au monde ! –
Mais ce n’est point là, répondit Beaumanoir, l’objet de la
querelle. Nous défendons ici les droits de l’humanité. – Faut-il
vous ramentevoir les excès de vos soudarts ? C’est honte que
vous n’ayez accordé à ma demande première. Or, de par Dieu !
quoique j’aye ici de nobles chevaliers, encore n’y sont-ils tous
ceux qui ne daigneraient fuir pour sauver leur vie. De par le Fils
de Marie ! vous mourrez ignominieusement
avant l’heure de
compiles
, ou vous et les vôtres serez pris et garrottés. En
avant, amis, et à l’épreuve ! »
Après cette réponse on en vint aux mains.
L’avantage fut d’abord du côté des Anglais, qui tuèrent Mellon et
Poulard, et blessèrent dangereusement Rousselot, Tristan de
Pestivien et Caro de
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