Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
Bodegat : ces deux derniers furent pris
avec Yves Charruel. Le brave Tristan retrouva cependant des forces
pour appeler Beaumanoir : Où es-tu, Beaumanoir ? les
Anglais m’entraînent blessé et meurtri. Sois aujourd’hui pour moi,
Notre-Dame de Bon-Secours ! » À ces accents déchirants,
Beaumanoir accourt, et sa bravoure indomptée rend l’espoir aux
Bretons. Des deux côtés on s’attaque, on se défend avec
acharnement. La mêlée devient horrible, plusieurs braves mordent la
poussière, et après deux heures de lutte corps à corps, les deux
partis, accablés de fatigue, se retirent d’un commun accord pour
reprendre haleine et se rafraîchir.
« Ah ! s’écria Geoffroy de la Roche,
comme on s’apprêtait à recommencer le combat, deux de nos amis ont
perdu la vie, trois autres sont prisonniers ! Dieu nous soit
en aide ! Mais que ne suis-je chevalier ! avec combien
d’ardeur je ferais mes premières armes ! – Qu’à cela ne
tienne, par sainte Marie ! dit Beaumanoir ; beau doux
fils, agenouille-toi. – Je te fais chevalier ; souviens-toi de
ton aïeul Bude de la Roche, dont la valeur émerveilla tout
l’Orient, et songe que j’ai juré que les Anglois paieront ta
chevalerie
avant l’heure de complies. »
En ce moment Bemborough s’élance sur
Beaumanoir, le frappe d’un coup qui l’étourdit, et le saisissant au
corps : Rends-toi, lui crie-t-il, je ne te tuerai pas ;
mais je te donnerai à ma mie, à qui je t’ai promis en présent. –
Par saint Yves ! reprend le Breton, il n’en sera pas comme tu
penses ! » Il allait pourtant succomber, quand Alain de
Keranrais accourt en disant à Bemborough : « Ah !
misérable présomptueux, qui se flatte d’emmener un homme d’un tel
courage ! » Et il le renverse par terre d’un coup de
lance dans le visage : Bemborough s’efforce de se relever,
mais en vain ; Geoffroy du Bois l’achève d’un coup d’épée, et
lui tranche la tête. Un cri de triomphe ébranle tous les cœurs des
Bretons : « Beaumanoir est vengé ! »
Croquart, l’un des plus vaillants parmi les
Anglais, voyant ses camarades étonnés de la mort de leur chef, leur
dit : « Voici Bemborough mort ! Tous les livres de
Merlin ne lui ont pas valu deux deniers ! N’ayons d’espoir
qu’en notre courage ; serrez-vous contre moi, et périssent
tous ceux qui nous approcheront ! »
Cependant les trois Bretons qui avaient été
faits prisonniers, profitant du désordre que la mort de Bemborough
avait mis parmi les siens, s’échappent et viennent rejoindre leurs
compagnons. Le combat reprend avec plus d’acharnement. La chaleur
était excessive, et Beaumanoir, à la fois affaibli par la perte de
son sang et par le jeûne qu’il s’était imposé en l’honneur de la
fête du lendemain, sent ses forces défaillir et laisse échapper ce
cri d’angoisse : « À boire ! – Bois ton sang,
Beaumanoir ! lui répond Geoffroy du Bois, et la journée est à
nous ! » Ce mot, qui dès lors devint la devise des
Beaumanoir, rend au héros chrétien toute son énergie, et il fond
sur les rangs pressés de l’ennemi. En ce moment, Guillaume de
Montauban monte à cheval, prend sa lance et semble vouloir
s’éloigner. « Ah ! faux et mauvais écuyer, lui dit
Beaumanoir, où vas-tu ? Cela te sera reproché à toi et à ta
race ! – Besogne bien de ta part, vaillant chevalier, réplique
Montauban ; j’y vais penser de la mienne. » Aussitôt il
pousse son cheval, donne au travers des Anglais et les rompt, en
criant : « Bretagne et Montjoie ! frappez, francs et
preux compagnons ; vengez-vous des Anglois ! » Les
Bretons pénètrent alors dans les rangs des ennemis ; ce n’est
plus qu’un massacre : tous sont tués ou pris. Croquart,
Knoles, Belliford et Caverley furent conduits à Josselin et mis à
rançon. Tinténiac, du côté des Bretons, et Croquart, du côté des
Anglais, eurent le principal honneur de cette action, où ils se
distinguèrent beaucoup par leur valeur. Tel fut le succès de ce
fameux
Combat des Trente,
célébré par la poésie et la
peinture, qui acquit de la gloire aux vainqueurs, mais qui n’eut
aucun résultat pour leur parti.
La trêve entre les rois de France et
d’Angleterre continuait d’être mal observée, surtout en Bretagne.
Le roi Jean y envoya des troupes sous la conduite de Guy de
Nesle ; mais le général anglais, Richard Bentley, le vainquit
à Mauron ; et dans cette affaire sanglante
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