Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
qu’il ne ménagea point dans ses discours, loin de
le soutenir, l’abandonna à la fureur de ses ennemis.
Ces ennemis étaient Arthur de Montauban, qui
avait secrètement formé le dessein d’épouser Françoise de Dinan, et
Jean Hingant, gentilhomme de l’hôtel du duc, que Gilles avait
maltraité de paroles. Ces deux personnes se partageaient la
confiance de François I er . Gilles, que son
mécontentement tenait éloigné de la cour, et qui ne pouvait le
dissimuler, se vit en butte à tous les traits de la calomnie, qui
s’efforça de le noircir auprès de son frère. Il avait depuis peu
fait venir de Normandie quelques habiles archers anglais au Guildo,
pour prendre avec eux le divertissement du tir de l’arc, exercice
qu’il aimait beaucoup. Ses ennemis dirent au duc que son frère
Gilles s’était vanté de faire descendre les Anglais en Bretagne, et
qu’il en avait déjà introduit dans quelques-uns de ses châteaux
voisins de la côte. On fit entendre la même chose à
Charles VII, que ce rapport indisposa extrêmement contre le
prince Gilles. L’affaire parut d’autant plus sérieuse, qu’on savait
que Henri VI lui avait offert l’épée de connétable
d’Angleterre ; mais Gilles l’avait refusée noblement, pour
n’être pas obligé, disait-il, de faire la guerre à son oncle, le
roi de France.
François I er , qui voulait se
venger de son frère, sans néanmoins être accusé de l’avoir fait par
ressentiment et par rapport aux différends qui existaient entre
eux, laissa agir Charles VII en cette occasion, ou plutôt il
lui demanda justice contre son frère et le pria de le faire
arrêter. Il fut donc réglé à Chinon, dans le temps qu’il y était
pour rendre hommage, que, dès qu’il serait parti, le roi enverrait
des soldats pour arrêter Gilles et le livrer au duc son frère, qui
se flatta que, cet acte d’autorité se faisant au nom du roi, on ne
manquerait pas de regarder le prisonnier comme criminel d’État.
Charles VII envoya en effet quatre cents lances en Bretagne,
sous les ordres de l’amiral de Coëtivy. Ces troupes arrivèrent
devant le Guildo, où Gilles, qui ne se doutait de rien, jouait
alors à la paume avec ses écuyers. Il fut très-étonné de l’arrivée
de ces gens de guerre ; mais, ayant su qu’ils venaient de la
part du roi son oncle, il leur fit ouvrir les portes et les reçut
bien. Ils commencèrent par se saisir des clefs du château, de toute
la vaisselle d’or et d’argent et de tous les joyaux ; puis,
s’étant rendus maîtres de la personne de Gilles, ils le
conduisirent à Dinan, où était le duc.
Le connétable, qui n’avait été informé de la
résolution prise contre son neveu qu’après le départ du duc de
Bretagne, en parla vivement au roi et lui en fit des plaintes
amères : Sire, lui dit-il, vous ne faites pas bien de
travailler ainsi à la destruction de la maison de Bretagne ;
vous auriez pu trouver aisément d’autres moyens de remédier à ces
maux imaginaires sans rendre irréconciliables deux frères déjà
divisés par d’autres différends. » Charles VII, touché
des paroles de Richemont, lui répondit : « Eh bien !
beau-frère de Bretagne pourvoyez-y vous-même, et faites
diligence ; autrement la chose iroit mal ; car ils sont
partis, tous délibérés de le prendre et de le mettre entre les
mains du duc. » Le connétable se hâta d’aller trouver
François I er à Dinan ; mais il n’était plus
temps : Gilles était déjà arrêté. Alors Richemont pria le duc
de vouloir bien au moins avoir en sa présence un éclaircissement
avec son frère. Le duc y consentit, et, accompagnés du prince
Pierre, ils allèrent à la chambre du château où Gilles était
enfermé. Dès que celui-ci vit le duc, il se mit à genoux et lui
demanda pardon. Richemont et Pierre se jetèrent aussi aux pieds de
François, et tous les trois, les larmes aux yeux, implorèrent sa
clémence, et le supplièrent de vouloir bien avoir pitié de son
malheureux frère. Le duc fut inflexible ; il s’abaissa même
jusqu’à abuser de la situation du prisonnier, et à l’insulter par
des railleries hors de saison. De Dinan, Gilles fut transféré à
Rennes, et de là à Châteaubriant et en plusieurs autres endroits,
sous la garde du sire de Montauban, maréchal de Bretagne.
Cependant le duc, sans aucun égard pour les
remontrances de son oncle, qui était encore à Dinan, fit venir
Olivier du Breil, son procureur
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