Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
l’impôt sur les consommations, quoique employés spécialement à ces
objets, ne furent pas trouvés suffisants. Pour y suppléer, l’empereur imagina
une nouvelle taxe de cinq pour cent sur les legs et sur les héritages. Mais les
nobles de Rome étaient beaucoup plus attachés à leurs biens qu’à leur liberté.
Auguste écouta leurs murmures avec sa modération ordinaire. Il renvoya de bonne
foi l’affaire au sénat, l’exhortant à trouver quelque autre expédient utile et
moins odieux. Comme l’assemblée était divisée et indécise, l’empereur déclara
aux sénateurs que leur opiniâtreté le forcerait à proposer une capitation et
une taxe générale, sur les terres [556] ;
aussitôt ils souscrivirent en silence à celle qui les avait d’abord indignés [557] . Cependant
l’impôt sur les legs et sur les héritages fut adouci par quelques restrictions.
Il n’avait lieu que lorsque l’objet était d’une certaine valeur, probablement
de cinquante ou cent pièces d’or [558] ; et l’on ne pouvait en exiger le paiement du parent le plus broche du côté du
père [559] .
Lorsque les droits de la nature et ceux de la pauvreté furent ainsi assurés, il
parut juste qu’un étranger ou un parent éloigné, qui obtenait un accroissement
imprévu de fortune, en consacrât la vingtième partie à l’utilité publique [560] .
Une pareille taxe, dont le produit est immense dans tout
État riche, se trouvait admirablement adaptée à la situation des Romains, qui
pouvaient, dans leurs testaments arbitraires, suivre la raison ou le caprice,
sans être enchaînés par des substitutions et par des conventions matrimoniales.
Souvent même la tendresse paternelle perdait son influence sur les rigides
patriotes de la république, et sur les nobles dissolus de l’empire ; et
lorsqu’un père laissait à son fils la quatrième partie de son bien, on ne
pouvait former aucune plainte légale contre une semblable disposition [561] . Aussi un riche
vieillard qui n’avait point d’enfants, était-il un tyran domestique ; son
autorité croissait avec l’âge et les infirmités. Une foule de vils courtisans,
parmi lesquels il comptait souvent des préteurs et des consuls, briguaient ses
faveurs, flattaient son avarice, applaudissaient à ses folies, servaient ses
passions, et attendaient sa mort avec impatience. L’art de la complaisance et
de la flatterie devint une science très lucrative ; ceux qui la
professaient, furent connus sous une nouvelle dénomination et toute la ville,
selon les vives descriptions de la satire, se trouva divisée en deux parties,
le gibier et les chasseurs [562] .
Tandis que la ruse faisait signer à la folie tant de
testaments injustes et extravagants, on en voyait cependant un petit nombre
dicté par une estime raisonnée et par une vertueuse reconnaissance. Cicéron,
dont l’éloquence avait si souvent défendu la vie et la fortune de ses
concitoyens, recueillit pour prés de cent soixante-dix mille livres sterling de
legs [563] .
Il parait que les amis de Pline le Jeune n’ont pas été moins généreux envers
cet intéressant orateur [564] .
Quels que fussent les motifs du testateur, le fisc réclamait sans distinction
la vingtième partie des biens légués ; et dans le cours de deux ou trois
générations, toutes les propriétés des sujets devaient passer insensiblement
dans les coffres du prince.
Néron, dans les premières années de son règne, porté par le
désir de se rendre populaire, ou peut-être entraîné par un mouvement aveugle de
bienfaisance, voulut abolir les douanes et l’impôt sur les consommations. Les
plus sages sénateurs applaudirent à sa générosité ; mais ils le
détournèrent de l’exécution d’un projet qui aurait détruit la force et les
ressources de la république [565] .
S’il eût été possible de réaliser cette chimère, des princes tels que Trajan et
les Antonins auraient sûrement embrassé avec la plus vive ardeur l’occasion
glorieuse de rendre un service si important au genre humain. Ils se
contentèrent d’alléger le fardeau public, sans entreprendre de l’écarter tout à
fait. La douceur et la précision de leurs lois déterminèrent la règle et la
mesure de l’impôt, et mirent tous les citoyens à l’abri des interprétations
arbitraires, des réclamations injustes et des vexations insolentes des fermiers
publics [566] ;
et il est singulier que dans tous les siècles, les plus sages et les
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