Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
ce qui
restait d’or et d’argent, et ces sommes étaient réservées pour quelque
événement imprévu [532] .
L’histoire n’a peut-être jamais souffert de perte si grande
ni si irréparable que celle de ce registre curieux [533] , légué par
Auguste au sénat, et dans lequel ce prince expérimenté balançait avec précision
les dépenses et les revenus de l’empire [534] .
Privés de cette estimation claire et étendue, nous sommes réduits à rassembler
un petit nombre de données éparses dans les ouvrages de ceux d’entre les
anciens qui se sont quelquefois écartés de la partie brillante de leur
narration, pour s’attacher à des considérations utiles. Nous savons que les
conquêtes de Pompée portèrent les tributs de l’Asie de cinquante à cent
trente-cinq millions de drachmes [535] ,
environ quatre millions et demi sterling [536] .
Sous le gouvernement du dernier et du plus indolent des Ptolémées, le revenu de
l’Égypte montait à douze mille cinq cents talents ; somme bien inférieure
à celle que les Romains tirèrent ensuite de ce royaume par une administration
ferme, et, par le commerce de l’Éthiopie et de l’Inde [537] . L’Égypte devait
ses richesses au commerce ; celles que recelait l’ancienne Gaule, étaient
le fruit de la guerre et du butin. Les tributs que payaient ces deux provinces
paraissent avoir été à peu près les mêmes [538] .
Rome profita bien peu de sa supériorité [539] ,
en n’exigeant des Carthaginois vaincus que dix mille talents phéniciens [540] ou environ
quatre millions sterling, et en leur accordant cinquante ans pour les payer.
Cette somme ne peut, en aucune manière, être comparée avec les taxes qui furent
imposées sur les terres et les personnes des habitants de ces mêmes contrées,
lorsque les fertiles côtes de l’Afrique eurent été réduites en provinces
romaines [541] .
Par une fatalité singulière l’Espagne était le Mexique et le
Pérou de l’ancien monde. La découverte des riches contrées de l’Occident par
les Phéniciens, et la violence exercée contre les naturels du pays, forcés à
s’ensevelir dans leurs mines, et à travailler pour des étrangers, présente le
même tableau que l’histoire de l’Amérique espagnole [542] . Les Phéniciens
ne connaissaient que les côtes de l’Espagne. L’ambition et l’avarice portèrent
les Carthaginois et les Romains à pénétrer dans le cœur de cette contrée, et
ils découvrirent que la terre renfermait presque partout du cuivre, de l’argent
et de l’or. On parle d’une mine prés de Carthagène, qui rapportait par jour
vingt-cinq mille drachmes d’argent, ou prés de trois cent mille livres sterling
par an [543] .
Les provinces d’Asturie, de Galice et de Lusitanie, donnaient annuellement
vingt mille livres pesant d’or [544] .
Nous n’avons point assez de loisir, et nous manquons de
matériaux, pour continuer ces recherches curieuses, et pour connaître les
tributs que payaient tant d’États puissants, qui furent confondus dans l’empire
romain : cependant, en considérant l’attention sévère avec laquelle les tributs
étaient levés dans les provinces les plus stériles et les plus désertes, nous
pourrons nous former quelque idée du revenu de ces provinces dans le sein
desquelles d’immenses richesses avaient été déposées par la nature ou amassées
par l’homme. Auguste reçut une requête des habitants de Gyare, qui le
suppliaient humblement de les exempter d’un tiers de leurs excessives
impositions. Toute leur taxe ne se montait qu’à cent cinquante drachmes
(environ cinq livres sterling) ; mais Gyare était une petite île, ou
plutôt un roc baigné par les flots de la mer Égée, où l’on ne trouvait ni eau
fraîche ni aucune des nécessités de la vie, et qui servait de retraite à un
petit nombre de malheureux pêcheurs [545] .
Eclairés par la faible lumière de ces rayons épars et
incertains, nous serions portés à croire, 1° qu’en admettant tous les
changements occasionnés par les temps et par les circonstances, le revenu
général des provinces romaines montait rarement à moins de quinze à trente
millions sterling [546] ;
2° que cette somme considérable devait entièrement suffire toutes les dépenses
du gouvernement institué par Auguste, dont la cour ressemblait à la maison d’un
simple sénateur, et dont l’établissement militaire avait pour but de protéger
les frontières de l’empire, sans chercher à
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