Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
leur fatale sécurité ; il laissa environ la moitié de
ses forces passer le fleuve sans inquiétude et sans précautions. Leur situation
et l’étonnement dont ils furent saisis lui assurèrent une victoire facile. Il
poussa plus loin ses avantages. Ce prince habile disposa ses légions en un
croissant, dont les deux extrémités traversaient le Danube ; ces
extrémités, se rapprochant tout à coup vers le centre, entourèrent
arrière-garde des Allemands. Cette manœuvre imprévue terrassa les Barbares. De
quelque côté qu’ils jetassent les yeux, ils n’apercevaient qu’un pays dévasté,
un fleuve profond et rapide, un ennemi victorieux et implacable.
Dans cette dure extrémité, ils ne dédaignèrent plus de demander
la paix. Aurélien reçut leurs ambassadeurs à la tête de son camp, avec une
pompe militaire propre à leur imprimer l’idée de la grandeur et de la
discipline de Rome. Les légions, rangées en ordre de bataille, se tenaient sous
les armes dans un silence imposant. Les principaux commandants revêtus des
marques de leur dignité, entouraient à cheval le trône de l’empereur. Derrière
le trône, les images sacrées du prince et de ses prédécesseurs [955] ; les
aigles dorées, et les tableaux sur lesquels étaient écrits en lettres d’or les
noms et les titres honorables des légions, brillaient dans l’air, élevés sur de
hautes piques couvertes d’argent. Lorsque l’empereur prit séance, son maintien
noble, sa beauté mâle et sa figure majestueuse [Vopiscus, H. Aug .] ,
apprirent aux Barbares à révérer la personne aussi bien que la pourpre de leur
vainqueur. Les députés se prosternèrent contre terre en silence ; ils eurent
ordre de se relever, et on leur accorda la liberté de parler, ce qu’ils firent
avec le secours des interprètes. Ils cherchèrent à diminuer leur perfidie,
exagérèrent leurs exploits ; s’étendirent sur les vicissitudes de la
fortune, vantèrent les avantages de la paix, et, avec une confiance mal placée,
ils demandèrent un subside considérable pour prix de l’alliance qu’ils
offraient aux Romains. La réponse d’Aurélien fut sévère et impérieuse. Il
traita leurs offres avec mépris, et leurs demandes avec indignation. Après leur
avoir reproché d’ignorer également l’art de la guerre et les lois de la paix,
il les renvoya, en ne leur laissant que le choix de se mettre entièrement à sa
discrétion, ou d’attendre les effets terribles de son ressentiment [956] . Aurélien aurait
pu céder à la nation des Goths une province éloignée ; mais il savait
combien il était dangereux de se fier ou de pardonner à des Barbares perfides,
dont la puissance formidable tenait l’Italie dans des alarmes continuelles.
Il paraît qu’immédiatement après cette conférence, quelque
événement imprévu exigea la présence de l’empereur en Pannonie. Il remit a ses
généraux le soin de terminer la destruction des Allemands par le fer ou par le
moyen plus sur de la famine. Mais l’activité du désespoir a souvent triomphé de
la confiance indolente qu’inspire la certitude du succès. Les Barbares, ne
pouvant traverser le camp romain et le Danube, forcèrent les postes plus
faibles ou moins soigneusement gardés qui leur fermaient l’entrée des
provinces, et ils retournèrent avec une célérité incroyable, mais par une route
différente, vers les montagnes d’Italie [ H. Aug ., p. 215] .
Aurélien, qui croyait la guerre entièrement finie, apprit avec chagrin que les
Allemands s’étaient échappés, et qu’ils ravageaient déjà le territoire de
Milan. Les légions eurent ordre de suivre, aussi promptement qu’il était
possible à ces corps pesants, la marche rapide d’un ennemi dont l’infanterie et
la cavalerie s’avançaient avec une vitesse presque égale. Quelques jours après,
l’empereur lui-même vola au secours de l’Italie, à la tête de tous les
prétoriens qui avaient servi dans les guerres d’Illyrie [Dexippus, p. 12] ,
et d’un corps choisi d’auxiliaires, parmi lesquels on voyait les otages et la
cavalerie des Vandales.
Comme les troupes légères des Allemands couraient tout le
pays entre les Alpes et les Apennins, par la découverte, l’attaque
et la poursuite de leurs nombreux détachements, exerçaient sans cesse la
vigilance d’Aurélien et de ses généraux. Les opérations de la campagne ne se
bornèrent cependant pas à des actions particulières. On parle de
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