Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
mémorable qui se donna
près de Châlons en Champagne [969] .
Un nombreux corps d’auxiliaires, composé de Francs et de Bataves [970] , repassa le Rhin
à la persuasion du vainqueur, ou forcé par la terreur de ses armes. Leur
retraite rétablit la tranquillité générale, et la puissance d’Aurélien fut
respectée depuis le mur d’Antonin jusqu’aux colonnes d’Hercule.
Dès le règne de Claude, la ville d’Autun, seule et sans
secours, avait osé se déclarer contre les légions de la Gaule. Après avoir
éprouvé pendant un siége de sept mois toutes les horreurs de la famine, elle
avait été prise d’assaut et saccagée [Eumène, in vet. Paneg. , IV, 8] .
Lyon, au contraire, avait résisté avec la plus grande opiniâtreté aux armes
d’Aurélien. L’histoire dit que Lyon fût puni [971] ,
elle ne parle pas de la récompense d’Autun. Telle est en effet la politique des
guerres civiles. Les injures laissent des traces profondes : on oublie les
services les plus importants. La vengeance est utile, la reconnaissance
dispendieuse.
Aurélien ne se fut pas plus tôt emparé de la personne et des
provinces de Tetricus [an 272] , qu’il tourna ses armes contre Zénobie,
cette fameuse reine de Palmyre et de l’Orient. Dans l’Europe moderne plusieurs
femmes ont soutenu glorieusement le fardeau d’un empire, et notre propre siècle
en offre de beaux exemples. Mais, si nous en exceptons Sémiramis, dont les
exploits paraissent incertains, Zénobie est la seule femme dont le génie
supérieur ait brisé le joug de cette indolence servile à laquelle les mœurs et
le climat de l’Asie assujettissaient son sexe [972] . Elle se disait
descendue des anciens rois macédoniens qui régnèrent en Égypte : sa beauté
égalait celle de Cléopâtre ; et elle surpassait de bien loin cette
princesse en valeur et en chasteté [973] .
Élevée au-dessus de son sexe par ses qualités éminentes Zénobie, était encore
la plus belle des femmes. Elle avait (car en parlant d’une femme, ces
bagatelles deviennent des détails importants) le teint brun, les dents d’une
blancheur éclatante, une voix forte et harmonieuse, et de grands yeux noirs,
dont une douceur attrayante tempérait la vivacité. L’étude avait éclairé son
esprit, et en avait augmenté l’énergie naturelle. Elle n’ignorait pas le
latin ; mais elle possédait au même degré de perfection le grec, le
syriaque et la langue égyptienne. Elle avait composé pour son usage un abrégé
de l’histoire d’Orient ; et, guidée par le sublime Longin, elle comparait
familièrement les beautés d’Homère et de Platon.
Cette femme accomplie avait épousé Odenat, qui, né dans une
condition privée [974] ,
monta sur le trône de l’Orient. Elle devint bientôt l’amie et la compagne d’un
héros. Odenat aimait passionnément la chasse : en temps de paix, il se
plaisait à poursuivre les bêtes farouches du désert, les lions, les panthères
et les ours : Zénobie se livrait avec la même ardeur à ce dangereux exercice.
Endurcie à la fatigue, elle dédaigna bientôt l’usage des chars couverts : on la
voyait le plus ordinairement à cheval, vêtue d’un habit militaire ;
quelquefois elle marchait à pied, et faisait plusieurs milles à la tête des
troupes. Les succès d’Odenat furent attribués, en grande partie, à la valeur et
à la prudence extraordinaire de sa femme. Les victoires brillantes des deux
époux sur le grand roi qu’ils poursuivirent deux fois jusqu’aux portes de
Ctésiphon, devinrent la source de leur gloire et de leur puissance ; les armées
qu’ils commandaient, et les provinces qu’ils avaient sauvées, ne voulurent
avoir pour souverains que leurs invincibles chefs. Lorsque l’infortuné Valérien
tomba entre les mains des Perses, le sénat et le peuple de Rome respectèrent un
étranger qui vengeait la majesté de l’empire. L’insensible Gallien lui-même
consentit à partager la pourpre avec Odenat, et il lui donna le titre de
collègue.
Après avoir chassé de l’Asie les Goths qui la dévastaient,
le prince palmyrénien se rendit à la ville d’Émèse en Syrie. Il avait triomphé
de tous ses ennemis à la guerre ; il périt par une trahison domestique. Son
amusement favori de la chasse fut la cause ou du moins l’occasion de sa mort [975] . Mœonius, son
neveu, eut l’audace de lancer sa javeline avant son oncle : quoiqu’il en eût
été repris, il se porta plusieurs fois à la même insolence.
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