Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
sénateur.
Son fils, passionné pour les armes, entra au service comme simple soldat ;
il obtint successivement les grades de centurion, de préfet d’une légion,
d’inspecteur au camp, de général ou duc d’une frontière, comme on les appelait
alors ; enfin, durant la guerre des Goths, il exerça l’important emploi de
commandant en chef de la cavalerie. Dans ces différents postes il se distingua
par une valeur extraordinaire [944] ,
par une discipline rigide et par des exploits éclatants. Il reçut le consulat de
l’empereur, Valérien qui, selon le langage pompeux du siècle, le désigna par
les noms de sauveur de l’Illyrie, de restaurateur de la Gaule, et de rival des
Scipions. A la recommandation de cet empereur, un sénateur d’un rang et d’un
mérite distingués, Ulpius Crinitus, qui tirait son origine de la même source
que Trajan, adopta le paysan de Pannonie lui donna sa fille en mariage, et le
fit sortir par ses richesses, de l’honorable pauvreté où il s’était toujours
maintenu [945] .
Ce prince ne régna que quatre ans et neuf mois environ ;
mais tous les instants de cette courte période sont remplis d’événements
mémorables. Il termina la guerre des Goths, châtia les Germains qui avaient
envahi l’Italie, retira la Gaule, l’Espagne et la Bretagne des mains de
Tetricus, et détruisit la puissance orgueilleuse que Zénobie avait élevée en
Orient sur les débris de l’empire désolé.
Aurélien dut cette suite non interrompue de succès à sa
rigidité scrupuleuse pour la discipline. Ses règlements militaires sont
contenus dans une lettre très concise, qu’il écrivit à un de ses officiers
subalternes en lui ordonnant de les faire exécuter, s’il veut devenir tribun ou
s’il est attaché à la vie. Le jeu, la table et l’art de la divination, sont
sévèrement défendus. L’empereur espère que ses soldats seront modestes, sobres
et laborieux ; qu’ils auront soin de tenir leur armure brillante, leurs épées
affilées, leurs vêtements et leurs chevaux en état de paraître au moindre
signal, sur le champ de bataille ; qu’ils observeront la frugalité et la
chasteté, et qu’ils vivront paisiblement dans leurs quartiers , sans endommager
les champs de blé, sans dérober même une brebis, une poule ou une grappe de
raisin ; sans exiger des habitants du sel, de l’huile ou du bois. Ce que
l’État leur donne , continue l’empereur, suffit pour leur subsistance.
Que leurs richesses proviennent des dépouilles de l’ennemi, et non des larmes
de nos sujets [946] .
Un seul exemple fera connaître la rigueur et même la cruauté d’Aurélien. Un
soldat avait séduit la femme de son hôte : le coupable fut attaché à deux
arbres, qui, forcément courbés l’un vers l’autre, déchirèrent ses membres, en
se redressant tout à coup. Quelques exécutions semblables inspirèrent un effroi
salutaire : les châtiments d’Aurélien étaient terribles ; mais il
avait rarement occasion de punir plus d’une fois la même offense. Sa conduite
donnait une sanction à ses lois ; et les légions séditieuses redoutaient un
chef qui, après avoir appris à obéir, était digne de commander.
A la mort de Claude, les Goths avaient repris courage.
L’appréhension d’une guerre civile avait obligé les Goths à retirer, pour les
employer ailleurs, les troupes qui gardaient les passages du mont Hémus et les
bords du Danube. Selon toutes les apparences les tribus des Goths et des Vandales,
qui n’avaient point encore porté les armes, contre l’empire, profitèrent d’une
occasion si favorable, quittèrent leurs établissements en Ukraine, traversèrent
les fleuves, et se joignirent en foule à leurs compatriotes pour piller les
provinces romaines. Aurélien marcha au-devant de cette nouvelle armée.
L’approche seule de la nuit mit fin à un combat sanglant et douteux [Zozime,
I] . Les Goths et les Romains, épuisés par les calamités sans nombre qu’ils
avaient réciproquement causées et souffertes pendant une guerre de vingt ans,
consentirent un traité durable et avantageux. Les Barbares le sollicitaient
avec empressement ; les légions, auxquelles l’empereur remit prudemment la
décision de cette affaire importante, s’empressèrent de le ratifier. Les Goths
promirent de fournir aux armées de Rome un corps de deux mille auxiliaires,
entièrement composé de cavalerie, à condition qu’ils ne seraient pas troublés
dans leur retraite, et qu’on
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