Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
quantité prodigieuse de dards, de pierres et d’armes de toute espèce.
Chaque partie des murs est garnie de deux ou trois balistes, et des machines de
guerre lancent perpétuellement des feux. La crainte du châtiment inspire à
Zénobie un désespoir qui augmente son courage. Cependant j’ai toujours la plus
grande confiance dans les divinités tutélaires de Rome, qui jusqu’à présent ont
favorisé toutes nos entreprises [Vopiscus, H. Aug. ] . Malgré
cette assurance, Aurélien doutait de la protection des dieux et de l’événement
du siège. Persuadé qu’il était plus prudent d’avoir recours à une capitulation
avantageuse, il offrit à la reine une retraite brillante ; aux citoyens, la
confirmation de leurs privilèges. Ses propositions furent rejetées avec
opiniâtreté, et l’insulte accompagna le refus.
Zénobie imaginait qu’en peu de temps la contraindrait les
Romains à repasser le désert ; elle se flattait aussi, avec toute apparence de
raison, que les rois de l’Orient, et surtout le monarque de la Perse,
armeraient pour défendre un allié naturel. Ces espérances soutenaient sa
fermeté ; mais la persévérance en la fortune d’Aurélien, surmontèrent tous
les obstacles. La mort de Sapor, que l’on place à cette époque [986] , mit la division
dans le conseil de la Perse ; et les faibles secours que l’on voulut faire
entrer dans Palmyre furent aisément interceptés par les armes, et par la
libéralité d’Aurélien. Les sages précautions de ce prince lui assurèrent des
vivres pendant le siège. Des convois réguliers arrivaient sans obstacle dans
son camp de toutes les parties de la Syrie. Enfin Probus, après avoir terminé
glorieusement la conquête de l’Égypte, joignit ses troupes victorieuses à celles
de l’empereur. Ce fut alors que Zénobie résolut de fuir. Elle monta le plus
léger de ses dromadaires [987] ;
et déjà elle était parvenue aux bords de l’Euphrate, à soixante molles environ
de Palmyre, lorsque, arrêtée par la cavalerie légère qu’Aurélien avait envoyée
à sa poursuite, elle fut amenée captive aux pieds de l’empereur [an 273] .
Sa capitale se rendit bientôt après. Les habitants en furent traités avec une
douceur qu’ils n’auraient osé espérer. Le vainqueur s’empara des chevaux, des
armes, des chameaux, et d’une immense quantité d’or, d’argent, de soie et de
pierres précieuses. Il laissa dans la place une garnison de six cents archers
seulement ; et il reprit la route d’Émèse, où il s’occupa pendant quelque
temps à distribuer des punitions et des récompenses. Telle fut la fin de cette
guerre mémorable, dont le succès fit rentrer sous les lois de Rome les
provinces qui, depuis la captivité de Valérien, avaient secoué le joug des
Césars.
Lorsque la reine de Syrie parut devant Aurélien, ce prince
lui demanda sévèrement, comment elle avait eu l’audace de prendre les armes
contre les empereurs de Rome. La réponse de Zénobie fut un mélange prudent de
respect et de fermeté. Parce que , dit-elle, j’aurais rougi de donner
le titre d’empereur à un Gallien, à un Auréole. C’est vous seul que je
reconnais comme mon vainqueur et comme mon souverain [Pollion, H. Aug .] .
Mais la force d’esprit chez les femmes est presque toujours artificielle :
aussi est-il bien rare qu’elle se soutienne. Le courage de Zénobie l’abandonna
au moment du danger. Elle ne faut entendre, sans être glacée d’effroi, les
clameurs des soldats qui demandaient à haute voix sa mort. Oubliant le généreux
désespoir de Cléopâtre, qu’elle s’était proposée pour modèle, elle n’eut pas
honte d’acheter sa grâce par le sacrifice de sa réputation et de ses amis. Ils
avaient gouverné, dit-elle, la faiblesse de son sexe : ce fut à leurs conseils
qu’elle imputa le crime d’une résistance opiniâtre ; ce fut sur leurs têtes
qu’elle dirigea les traits de la vengeance du vainqueur. Le fameux Longin périt
avec les victimes nombreuses, et peut-être innocentes, que la tremblante
Zénobie dévouait à la mort. Le nom de Longin vivra plus longtemps que celui de
la reine qui le trahit, ou du tyran qui le condamna. La science et le génie ne
furent pas capables d’adoucir la colère d’un soldat ignorant ; mais ils
avaient servi à élever et à régler l’âme de Longin. Sans proférer une seule
plainte, il marcha tranquillement au supplice, touché de compassion pour les
malheurs de sa
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