Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
innombrable des Perses [1171] .
Mais, en examinant le théâtre de l’action, il est aisé de découvrir à cet échec
une cause différente. Le même terrain où Galère fut vaincu avait été célèbre
par la mort de Crassus, et par le massacre de dix légions. C’était une plaine
de plus de soixante milles, qui s’étendant depuis la hauteur de Carrhes jusqu’à
l’Euphrate, présentait une surface unie et stérile de déserts sablonneux, sans
une seule éminence, sans un seul arbre, sans une source d’eau fraîche [1172] . L’infanterie
pesante des Romains, accablée par la chaleur, et cruellement tourmentée de la
soif ne pouvait espérer de vaincre en conservant ses rangs, ni rompre ses rangs
sans s’exposer aux plus grands périls. Dans cette extrémité, elle fut
successivement environnée de troupes supérieures en nombre, harassée par les
évolutions rapides de la cavalerie des Barbares, et détruite par leurs fléchés
redoutables. Le roi d’Arménie avait signalé sa valeur sur le champ de bataille,
et s’était couvert de gloire au milieu des malheurs publics. Il fut poursuivi
jusqu’aux bords de l’Euphrate. Son cheval était blessé et il ne paraissait pas
pouvoir échapper à un ennemi victorieux. Aussitôt Tiridate, embrasse le seul
parti qui lui reste à prendre il met pied à terre, et s’élance dans le fleuve.
Son armure était pesante, l’Euphrate très profond, car il avait en cet endroit
au moins quatre cents toises de large [1173] : cependant la force et l’adresse du prince le servirent si heureusement, qu’il
arriva en sûreté sur la rive opposée [1174] .
Pour le général romain, nous ignorons comment il se sauva. Lorsqu’il retourna
dans la ville d’Antioche Dioclétien le reçut non avec la tendresse d’un ami et
d’un collègue ; mais avec l’indignation d’un souverain irrité. Vêtu de la
pourpre impériale, humilié par le souvenir de sa faute et de son malheur, le
plus orgueilleux des hommes fut obligé de suivre à pied le char de l’empereur
l’espace d’un mille environ, et d’étaler devant toute la cour le spectacle de
sa disgrâce [1175] .
Dès que Dioclétien eut satisfait son ressentiment
particulier, et qu’il eut soutenu la majesté de la puissance impériale ;
ce prince, cédant aux instances du César, lui permit de réparer son honneur et
celui des armes romaines. Aux troupes efféminées de l’Asie, qui avaient
probablement été employées dans la première expédition, on substitua des
vétérans et de nouvelles levées tirées des frontières de l’Illyrie ; et le
prince prit à son service un corps considérable de Goths auxiliaires [1176] . Galère repassa
l’Euphrate à la tête d’une armée choisie de vingt-cinq mille hommes ;
mais, au lieu d’exposer ses légions dans les plaines découvertes de la
Mésopotamie, il s’ouvrit une route à travers les montagnes de l’Arménie, dont
il trouva les habitants dévoués à sa cause, et dont le terrain était aussi
favorable aux opérations de l’infanterie que peu propre aux mouvements de la
cavalerie [1177] .
L’adversité avait affermi la discipline des Romains, tandis que les Barbares,
enflés de leur succès, étaient tombés dans une telle négligence et un tel
relâchement, qu’au moment où ils s’y attendaient le moins, ils furent surpris
par l’activité de Galère. Ce prince, accompagné seulement de deux cavaliers,
avait examiné lui-même secrètement l’état et la position de leur camp. Il le
fit attaquer au milieu de la nuit. Une pareille surprise était presque toujours
fatale aux soldats perses. Ils liaient leurs chevaux, et leur mettaient des
entraves aux pieds pour les empêcher de s’échapper. En cas d’alarme, le Persan
avait son cheval à brider, sa housse à poser et sa cuirasse à mettre, avant
d’être en état de combattre [1178] .
L’impétuosité de Galère porta le désordre et le découragement parmi les
Barbares. Une faible résistance fait suivie d’un horrible carnage. Au milieu de
la confusion générale, le monarque blessé (car Narsès commandait ses armées en
personne) prit la fuite vers les déserts de la Médie. Le vainqueur trouva des
richesses immenses, dans la tente magnifique de ce prince et dans celles de ses
satrapes. On rapporte un trait curieux de l’ignorance rustique, mais martiale
des légions, qui prouve combien elles connaissaient peu les élégantes
superfluités de la vie. Une bourse faite d’une peau
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