Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
elles avaient dans leur sein une foule de
vétérans qui, après dix-sept campagnes glorieuses sous le même général, se
préparaient à mériter une retraite honorable par un dernier effort de courage [1334] . Mais sur mer
les préparatifs de Constantin ne pouvaient en aucune façon être comparés à ceux
de Licinius. Les villes maritimes de la Grèce avaient envoyé chacune au célèbre
port du Pirée les hommes et les bâtiments qu’elles pouvaient fournir, et toutes
ces forces réunies ne formaient que deux cents petits vaisseaux : armement très
faible, si on le compare à ces flottes formidables équipées et entretenues par
la république d’Athènes durant la guerre du Péloponnèse [1335] . Depuis que
l’Italie avait cessé d’être le siège du gouvernement, les établissement
maritimes formés dans les ports de Misène et de Ravenne avaient été
insensiblement négligés ; et comme la marine de l’empire était soutenue
par le commerce plutôt que par la guerre, il devait naturellement se trouver un
bien plus grand nombre de matelots et de bâtiments dans les provinces
industrieuses de l’Égypte et de l’Asie. On est seulement étonné que l’empereur
d’Orient, dont les forces navales étaient si considérables, ait négligé de
porter la guerre dans le centre des États de son rival.
Au lieu d’embrasser une résolution si active, qui aurait pu
changer toute la face de la guerre, le prudent Licinius attendit l’ennemi près
d’Andrinople ; et le soin avec lequel il fortifia son camp décelait assez
ses inquiétudes. Après avoir quitté Thessalonique, Constantin s’avançait vers
cette partie de la Thrace, lorsqu’il fut tout à coup arrêté par l’Hèbre, fleuve
large et rapide, et il aperçut les nombreuses troupes de Licinius, qui, postées
sur la pente d’une montagne, s’étendaient depuis le fleuve jusqu’à la ville.
Plusieurs jours se passèrent en escarmouches à quelque distance des deux
armées. Enfin l’intrépidité de Constantin surmonta les difficultés du passage
et de l’attaque [3 juillet 323] . Ce serait ici le lieu de rapporter un
exploit prodigieux de ce prince. Quoiqu’il ne s’en trouve peut-être aucun dans
la poésie ou dans les romans qui puisse lui être comparé, cependant il a été
célébré, non par un de ces orateurs vendus à sa fortune, mais par un historien
ennemi de sa gloire. On assure que le vaillant empereur se jeta dans l’Hèbre,
accompagné seulement de douze cavaliers, et que, par la force ou la terreur de
son bras invincible, il renversa, massacra et mit en pièces une armée de cent
cinquante mille hommes. La crédulité l’emportait tellement sur la passion dans
l’esprit de Zozime, qu’au lieu de s’attacher aux événements les plus importants
de cette fameuse bataille, il paraît avoir choisi et embelli les plus
merveilleux. La valeur et le péril de Constantin sont attestés par une blessure
légère qu’il reçut à la cuisse ; mais nous pouvons découvrir, même dans
cette narration imparfaite, et peut-être dans un texte corrompu, que la
victoire ne fut pas moins due à l’habileté du général que la bravoure du héros.
Il assembla d’abord des matériaux, comme s’il eût eu dessein de jeter un pont
sur le fleuve ; et tandis que les ennemis étaient occupés de ces
préparatifs, il envoya un corps de cinq mille archers s’emparer d’un bois épais
qui couvrait leur arrière-garde. Licinius, embarrassé par une multiplicité
d’évolutions trompeuses, sortit avec regret de son poste avantageux pour
combattre dans la plaine sur un terrain uni où la victoire ne fut plus
disputée. Les vétérans expérimentés de l’Occident taillèrent facilement en
pièces cette multitude confuse de nouvelles levées. Il périt, dit-on,
trente-quatre mille hommes. Le soir même, le camp fortifié de Licinius fut pris
d’assaut, et la plus grande partie des fuyards, qui avaient gagné les
montagnes, se rendirent le lendemain à la discrétion du vainqueur [1336] . Son rival,
incapable désormais de tenir la campagne, s’enferma dans les murs de Byzance.
Constantin mit aussitôt le siége devant cette ville. Une
pareille entreprise exigeait de grands travaux, et le succès pouvait en
paraître fort incertain. Dans les dernières guerres civiles, les fortifications
d’une place si importante, regardée avec raison comme la clef de l’Europe et de
l’Asie, avaient été réparées et augmentées ; en tant que
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