Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
ou bien à un décret du sénat. Selon l’usage de la tyrannie,
Licinius fut accusé de tramer une conspiration et d’entretenir une
correspondance criminelle avec les Barbares ; mais comme il ne fut jamais
convaincu ni par sa conduite, ni par aucune preuve légale, sa faiblesse doit
faire présumer [1341] qu’il était innocent. La mémoire de ce malheureux prince fait dévouée à une
infamie perpétuelle ; on renversa ses statues avec ignominie ; et par un édit
précipité, dont les suites parurent si funestes qu’il fut presque aussitôt
modifié, on annula toutes les lois et toutes les procédures judiciaires de son
règne [1342] .
Cette victoire de Constantin, réunit de nouveau les membres épars de l’univers
romain sous l’autorité d’un seul monarque, trente-sept ans après que Dioclétien
eut partagé avec Maximien, son associé, sa puissance et ses provinces.
Les degrés successifs de l’élévation de Constantin, depuis
sa première élection dans la ville d’York jusqu’à l’abdication de Licinius à
Nicomédie, ont été représentés avec détail et précision, non seulement parce
que ces événements sont en eux-mêmes fort intéressants, et de la plus grande
importance, mais encore parce qu’ils ont contribué à la décadence de l’empire
par tout le sang et par les richesses immenses qui furent alors prodigués ; et
par l’accroissement perpétuel des taxes aussi bien que des forces militaires.
La fondation de Constantinople et l’établissement de la religion chrétienne
furent les suites immédiates et à jamais mémorables de cette révolution.
Chapitre XV
Progrès de la religion chrétienne. Sentiments, mœurs, nombre et condition des
premiers chrétiens.
UN EXAMEN impartial, mais raisonné, des progrès et de
l’établissement du christianisme, peut être regardé comme une partie très
essentielle de l’histoire de l’empire romain. Tandis que la force ouverte et
des principes cachés de décadence attaquent et minent à la fois ce grand corps,
une religion humble et pure jette sans effort des racines dans l’esprit des
hommes, croît au milieu du silence et de l’obscurité, tire de l’opposition une
nouvelle vigueur, et arbore enfin sur les ruines du Capitole la bannière
triomphante de la croix. Son influence ne se borne pas à la durée ni aux
limites de l’empire ; après une révolution de treize ou quatorze siècles, cette
religion est encore celle des nations de l’Europe qui ont surpassé tous les
autres peuples de l’univers dans les arts, dans les sciences, aussi bien que
dans les armes : le zèle et l’industrie des Européens ont porté le
christianisme sur les rivages les plus reculés de l’Asie et de l’Afrique ;
et par le moyen de leurs colonies, il a été solidement. établi depuis le Chili
jusqu’au Canada, dans un monde inconnu aux anciens.
Un pareil examen serait sans doute utile et intéressant ;
mais il se présente ici deux difficultés particulières. Les monuments suspects
et imparfaits de l’histoire ecclésiastique nous mettent rarement en état
d’écarter les nuages épais qui couvrent le berceau du christianisme. D’un autre
côté, la grande loi de l’impartialité nous oblige trop souvent de révéler les
imperfections de ceux des chrétiens qui, sans être inspirés, prêchèrent ou
embrassèrent l’Évangile. Aux yeux d’un observateur peu attentif, leurs fautes
sembleront peut-être jeter une ombre sur la foi qu’ils professaient ; mais
le scandale du vrai fidèle et le triomphe imaginaire de l’impie cesseront, dès
qu’ils se rappelleront, non seulement par qui , mais encore à qui la révélation divine a été donnée. Le théologien peut se livrer au plaisir de
représenter la religion descendant du ciel dans tout l’éclat de sa gloire, et
environnée de sa pureté primitive. Une tâche plus triste est imposée à
l’historien : il doit découvrir le mélange inévitable d’erreur et de corruption
qu’a dû contracter la foi dans un long séjour parmi des êtres faibles et
dégénérés.
La curiosité nous porté à vouloir démêler les moyens qui ont
assuré les, succès étonnants du christianisme sur les religions établies alors
dans l’univers : il est facile de la satisfaire par une réponse naturelle et
décisive. Sans doute cette victoire est due à l’évidence convaincante de la doctrine
elle-même et à la providence invariable de son grand auteur. Mais ne sait-on
pas que la raison et
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