Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Licinius restait
maître de la mer, la garnison avait bien moins à craindre de la famine que
l’armée des assiégeants. Les commandants de la flotte de Constantin eurent
ordre de se rendre auprès de lui, et il leur prescrivit de forcer le passage de
l’Hellespont, puisque les vaisseaux de Licinius, au lieu de chercher et de
détruire un ennemi plus faible, demeuraient dans l’inaction et continuaient à
occuper un détroit où la supériorité du nombre était si peu utile et si peu
avantageuse. Crispus, fils aîné de Constantin, fut chargé de cette entreprise
hardie. Il l’exécuta si heureusement et avec tant de courage, qu’il mérita
l’estime de son père, et qu’il excita probablement sa jalousie. Le combat dura
deux jours. A la fin de la première journée, les deux flottes, après une perte
considérable et réciproque, se retirèrent l’une en Europe, l’autre du côté de
l’Asie. Le second jour, il s’éleva vers le midi un vent du sud [1337] , qui, soufflant
avec violence, poussa les vaisseaux de Crispus contre ceux de l’ennemi. Ce
prince profita, par son habile intrépidité, de cet heureux hasard, et remporta
bientôt une victoire complète. Cent trente bâtiments furent coulés à fond, cinq
mille hommes perdirent la vie ; et Amandus, l’amiral de la flotte
asiatique, ne parvint qu’avec la plus grande difficulté aux rivages de
Chalcédoine. Dés que l’Hellespont fut libre, un grand convoi arriva au camp de
Constantin, qui avait déjà avancé les opérations du siége. Après avoir
construit un rempart de terre égal en hauteur aux fortifications de Byzance, il
posa sur cette terrasse des machines de toute espèce, et de hautes tours d’où
ses soldats lançaient aux assiégés des dards et des pierres énormes. Les
béliers avaient ébranlé les murs en plusieurs endroits ; si Licinius
persistait à se défendre plus longtemps, il s’exposait à être enseveli sous les
ruines de la ville. Avant d’être entièrement bloqué, il passa prudemment, avec
ses trésors, à Chalcédoine en Asie ; et, n’ayant pas perdu le désir
d’associer des compagnons à l’espoir et aux dangers de sa fortune , il donna le
titre de César à Martinianus, qui remplissait un des emplois les plus
importants de son empire [1338] .
Telles étaient les ressources et les talents de Licinius,
qu’après tant de défaites‘réitérées, pendant que Constantin exerçait son
activité au siège de Byzance, il assembla en Bithynie une nouvelle armée de
cinquante où soixante mille hommes. Le vigilant empereur ne crut cependant pas
devoir négliger les derniers efforts de son rival. Une partie considérable de
l’armée victorieuse passa le Bosphore dans de petits bâtiments ; bientôt
après l’arrivée de ces troupes, la bataille décisive se donna sur les hauteurs
de Chrysopolis, aujourd’hui Scutari. Les soldats de Licinius, quoique nouvellement
levés, mal armés et plus mal disciplinés, résistèrent au vainqueur avec un
courage inutile, mais animé par le désespoir, jusqu’à ce que la défaite totale
et le massacre de vingt-cinq mille hommes eussent irrévocablement déterminé le
sort de leur chef [1339] .
Il se rendit à Nicomédie, moins dans l’espoir de se défendre que dans la vue de
gagner du temps pour négocier. Constantia, femme de Licinius et sœur de
Constantin, sollicita son frère en faveur de son mari ; elle obtint plutôt
de la politique que de la compassion du vainqueur, la promesse solennelle,
confirmée par un serment, que Licinius, après s’être dépouillé de la pourpre,
et après avoir sacrifié Martinianus, aurait la permission de passer le reste de
ses jours dans un repos honorable. La conduite de Constantia et ses liaisons
avec les deux princes rivaux, rappellent naturellement le souvenir de cette
vertueuse Romaine, sœur d’Auguste et femme de Marc-Antoine ; mais les idées des
hommes étaient changées, et l’on ne pensait plus que ce fût une tache pour un Romain
de survivre à son honneur et à sa liberté. Licinius demanda et accepta le
pardon de ses fautes ; il déposa la pourpre aux pieds de son seigneur et maître ; et lorsqu’il eut été relevé de terre avec une pitié
insultante, il fut admis au banquet impérial. On l’envoya aussitôt à
Thessalonique, qu’on avait choisie pour sa prison : il fut bientôt condamné à
mourir [1340] .
On ne sait si, pour motiver son exécution, on eut recours à un tumulte élevé
parmi les soldats,
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