Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
coup dans un saint transport,
et, ravis en extase, ils disaient ce qui leur était inspiré, simples
instruments de l’Esprit Saint, comme la flûte est l’organe de celui qui en tire
des sons [1424] .
Nous pouvons ajouter que ces visions avaient principalement pour objet de
dévoiler l’histoire future de l’Église, ou d’en régler l’administration
présente. L’expulsion des démons que l’on contraignait d’abandonner le corps
des malheureux qu’ils avaient eu la permission de tourmenter, était le triomphe
ordinaire, mais en même temps le plus signalé de la foi ; et les anciens
apologistes ne cessent de répéter qu’une pareille victoire est la preuve la
plus convaincante de la vérité du christianisme. Cette cérémonie imposante
avait lieu communément en public devant un grand nombre de spectateurs. Le
patient était délivré par le pouvoir ou par l’habileté de l’exorciste, et l’on
entendait le démon vaincu avouer que sous le nom d’un faux dieu du paganisme,
il avait usurpé pendant longtemps l’adoration du genre humain [1425] . Mais la
guérison miraculeuse des maladies les plus, invétérées et même des maladies
surnaturelles ne causera plus de surprise, si l’on se rappelle que du temps de
saint Irénée, vers la fin du second siècle, la résurrection des morts ne
paraissait point un événement extraordinaire ; que dans les occasions
nécessaires, les longs jeûnes et les supplications réunies de tous les fidèles
du lieu, suffisaient souvent pour opérer le miracle, et que les personnes ainsi
rendues aux prières de leurs frères, avaient vécu plusieurs années parmi eux [1426] . Dans une
période où la foi pouvait se vanter d’avoir remporté tant de victoires
étonnantes sur la mort, il est difficile d’expliquer le scepticisme de ces
philosophes qui rejetaient ou qui osaient tourner en ridicule la doctrine de la
résurrection. Un Grec d’une naissance distinguée, défendant le parti de
l’erreur contre Théophile, évêque d’Antioche, réduisit toute la dispute à un
seul point, à la vérité très important. Il promit que si on pouvait lui montrer
une seule personne qui eût été tirée du sein des morts, il embrasserait
aussitôt la religion chrétienne. Il est assez singulier que le prélat de la
première Église de l’Orient, malgré son zèle, pour la conversion de son ami
n’ait pas jugé a propos d’accepter ce défi simple et raisonnable [1427] .
Les miracles de la primitive Église, après avoir obtenu la
sanction des temps, ont été dernièrement attaqués dans un ouvrage [1428] rempli de
recherches curieuses, mais hardies, et qui malgré l’accueil favorable qu’il à
reçu du public, paraît avoir excité un scandale général parmi les théologiens
de toutes les Églises protestantes de l’Europe [1429] . En hasardant
notre sentiment sur cette matière, nous serons bien moins déterminé par
quelques arguments particuliers que par notre manière de voir et de réfléchir,
et surtout par le degré d’évidence que nous avons coutume d’exiger, quand il
s’agit de prouver un évènement miraculeux. Le droit d’un historien ne l’oblige
pas à s’ériger en juge de son autorité privée, dans une controverse si délicate
et d’une telle importance ; mais d’un autre coté, il ne doit pas dissimulé
la difficulté qu’il éprouve à trouver une théorie qui puisse concilier
l’intérêt de la religion avec celui de la raison, à faire une application
convenable de cette théorie, et à tracer avec précision les limites de cette
période fortunée, exempte de fraude et d’erreur, à laquelle nous croyons
pouvoir assigner le don des pouvoirs surnaturels. Depuis le premier des pères
jusqu’au dernier des papes il se présente une succession non interrompue
d’évêques, de saints, de martyrs et de miracles ; et en même temps les progrès
de la superstition ont été suivis et si imperceptibles, que nous ne savons dans
quel anneau particulier la chaîne de la tradition doit être rompue. Chaque
siècle atteste authentiquement les événements merveilleux qui l’ont distingué ;
et son témoignage ne paraît d’abord ni moins puissant ni moins respectable que
celui de la génération précédente. Si bien qu’insensiblement nous sommes
conduits à ne pouvoir, sans une inconséquence avouée, refuser dans le huitième
ou le douzième siècle, au vénérable Béde et à saint Bernard, le même degré de
confiance que
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