Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
favorables qui pouvaient
engager les missionnaires romains à visiter leurs provinces, il s’était écoulé
plus d’un siècle lorsqu’ils passèrent la mer ou les Alpes [1526] ; et l’on
ne peut apercevoir dans ces vastes contrées aucune trace sensible de foi et de
persécution avant le règne des Antonins [1527] .
Ces progrès lents du christianisme sous le climat froid de la Gaule, sont bien
différents de l’ardeur avec laquelle la prédication de l’Évangile paraît avoir
été reçue au milieu des sables brûlants de l’Afrique. Les chrétiens de cette
dernière province formèrent bientôt un des corps les plus considérables de la
primitive Église. Ils envoyaient des évêques dans les plus petites villes, et
très souvent dans les villages les plus obscurs : cette pratique augmenta
la splendeur et l’importance de leurs communautés religieuses, qui, durant le
cours du troisième siècle, furent animées par le zèle de Tertullien, dirigées
par les talents de saint Cyprien, et illustrées par l’éloquence du célèbre
Lactance. D’un autre côté, si nous jetons les yeux sur la Gaule, nous ne voyons
sous Marc-Aurèle que les faibles congrégations de Lyon et de Vienne réunies en
une seule. On assure même que jusqu’au règne de l’empereur Dèce, quelques
Églises éparses dans les villes d’Arles, de Narbonne, de Toulouse, de Limoges,
de Clermont, de Tours et de Paris, se soutinrent seulement par la dévotion d’un
petit nombre de chrétiens [1528] .
Le silence, il est vrai, convient bien à la dévotion ; mais, comme il est
rarement compatible avec le zèle, on peut juger et s’affliger de l’état
languissant et déplorable du christianisme dans les provinces qui avaient
abandonné le celtique pour le latin, puisque durant les trois premiers siècles,
elles ne produisirent aucun écrivain ecclésiastique. De la Gaule, contrée
florissante qui l’emportait, par la supériorité du rang et par ses succès dans
les lettres, sur tous les pays située en deçà des Alpes, la lumière de
l’Évangile se réfléchit plus faiblement que sur l’Espagne et sur la Bretagne.
S’il faut en croire les assertions véhémentes de Tertullien, ces provinces
avaient déjà été éclairées des premiers rayons de la foi, lorsqu’il adressa son
Apologétique aux magistrats de l’empereur Sévère [1529] . Mais il ne
nous est resté sur l’origine des Églises occidentales de l’Europe que des
monuments obscurs et imparfaits ; et, si nous voulions rapporter l’époque,
et les circonstances de leur fondation, pour suppléer au silence de
l’antiquité, nous serions forcés d’avoir recours à ces légendes que l’avarice
ou la superstition dicta longtemps après à des moines fainéants dans la
solitude de leurs cloîtres [1530] .
Parmi toutes ces fictions sacrées, les aventures romanesques de l’apôtre saint
Jacques méritent seules, par leur extravagance singulière, que l’on en fasse
mention. Un pêcheur paisible du lac de Génésareth est transformé en valeureux
chevalier : à la tête de la cavalerie espagnole, il charge les Maures dans
plusieurs batailles. Les plus graves historiens ont célébré ses exploits. La
châsse miraculeuse de Compostelle a déployé toute sa puissance ; et le
tribunal terrible de l’inquisition, assisté de l’épée d’un ordre militaire,
suffit pour éloigner toutes les objections d’une critique profane [1531] .
Les progrès du christianisme ne furent pas bornés à l’empire
romain ; et, selon les premiers pères, qui expliquent les faits par les
prophéties, la nouvelle religion, un siècle après la mort de son divin auteur,
avait déjà visité toutes les parties du globe. Il n’existe pas , dit
saint Justin martyr, un peuple, soit grec ou barbare, ou de toute autre race
d’hommes, quelles que soient leurs dénominations ou leurs mœurs distinctives,
quelle que puisse être leur ignorance des arts ou de l’agriculture, soit qu’ils
habitent sous des tentes, ou qu’ils errent dans des chariots couverts, chez
lesquels on n’ait offert au nom de Jésus crucifié, des prières au père et au
créateur de toutes choses [1532] .
Cette exagération pompeuse, que même à présent il serait bien difficile de
concilier avec l’état réel du genre humain, doit être regardée comme la saillie
d’un écrivain pieux, mais peu exact, qui réglait sa croyance sur ses désirs.
Mais ni la croyance ni le désir des pères ne sauraient
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