Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
des prophéties des Juifs [1541] .
Saint Clément d’Alexandrie était très versé dans la connaissance de la langue
grecque, et Tertullien dans celle de la langue latine. Jules Africain et
Origène avaient embrassé presque toutes les sciences connues de leur temps ; et
quoique, le style de saint Cyprien soit très différent de celui de Lactance, on
croit s’apercevoir que ces deux écrivains avaient enseigné publiquement la
rhétorique. L’étude même de la philosophie s’introduisit enfin parmi les
chrétiens ; mais elle ne produisit pas toujours les effets les plus
salutaires ; et les lettres enfantèrent aussi souvent l’hérésie que la
dévotion. Ce que l’on disait des, sectateurs d’Artémon peut s’appliquer, avec
une égale justesse, aux différentes sectes qui s’élevèrent contre les
successeurs des apôtres. Ils osent altérer les saintes Écritures; ils osent
abandonner l’ancienne règle de la foi, et former leurs opinions sur les
préceptes subtils de la logique. Ils négligent la science de l’Église pour
l’étude de la géométrie, et ils perdent le ciel de vue, s’occupant à mesurer la
terre. Euclide est perpétuellement dans leurs mains ; Aristote et Théophraste
sont les objets de leur admiration ; et les ouvrages de Galien leur
inspirent une vénération extraordinaire. L’abus des arts et des sciences des
gentils est la source de leurs erreurs ; ils corrompent la simplicité de
l’Évangile, en y mêlant les raffinements de la raison humaine [1542] .
On ne peut pas dire non plus que les avantages de la
naissance ou de la fortune aient toujours été séparés de la profession du
christianisme. Plusieurs citoyens romains furent amenés devant le tribunal de
Pline, et il découvrit bientôt que, dans la Bithynie, une foule de personnes, de
tout état , avaient abandonné la religion de leurs ancêtres [1543] . Ce témoignage
qui ne peut être suspect est ici d’un plus grand poids que le défi téméraire de
Tertullien, lorsqu’il excite à la fois les craintes et l’humanité du proconsul
d’Afrique, en l’assurant que s’il persiste dans ses cruelles intentions, il
doit décimer Carthage ; qu’il trouvera parmi les coupables plusieurs
personnes de son rang, des sénateurs et des dames de la plus noble
extraction ; et qu’il sera forcé de punir les amis et les parents de ses
amis les plus intimes [1544] .
Il paraît cependant qu’environ quarante ans après, l’empereur Valérien ne
doutait pas de la vérité d’une pareille assertion, puisque, dans un de ses
rescrits, il suppose évidemment que des sénateurs, des chevaliers romains et des
femmes de qualité étaient entrés dans la secte des chrétiens [1545] . L’Église
continua toujours à augmenter sa grandeur extérieure, à mesure qu’elle perdait
de sa pureté intérieure, et sous le règne de Dioclétien, le palais, les
tribunaux, l’armée même, recélaient une multitude de chrétiens, qui
s’efforçaient de concilier les intérêts du monde présent avec ceux d’une vie
future.
Cependant ces exceptions sont en trop petit nombre, elles
ont eu lieu dans des temps trop éloignés de la naissance du christianisme pour
détruire entièrement l’imputation d’ignorance et d’obscurité que l’on a jetée
avec tant d’arrogance sur les premiers fidèles [1546] . Au lieu de
faire servir à notre défense des fictions inventées dans un âge postérieur, il
sera plus prudent, de convertir l’occasion du scandale en un sujet
d’édification. Des réflexions sérieuses nous apprendront que les apôtres
eux-mêmes furent choisis par la Providence, au milieu des pêcheurs de la
Galilée ; et que plus nous abaissons la condition temporelle des préfets
chrétiens, plus nous aurons de raisons d’admirer leur mérite et leurs succès.
Il nous importe surtout de ne pas oublier que le royaume des cieux a été promis
aux pauvres d’esprit, et que les âmes affligées par les calamités et par le
mépris du genre humain, écoutent avec transport la promesse divine d’un bonheur
éternel, tandis qu’au contraire les heureux du siècle se contentent de la
possession de ce monde, et que les sages, livrés à leurs doutes, ou entraînés
dans des disputes inutiles, abusent d’une vaine supériorité de raison et de
savoir.
Sans des réflexions si consolantes, nous gémirions sur le
sort de quelques personnages illustres, qui nous auraient semblé mériter plus
que le reste des hommes de
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