Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
vie austère des esséniens, leurs jeûnes et
leurs excommunications, la communauté de biens, le goût du célibat, leur zèle
pour le martyre, et la chaleur, non la pureté de leur foi, offraient déjà une
vive image de la discipline primitive des chrétiens [1517] . C’est dans
l’école d’Alexandrie que la théologie chrétienne semble avoir pris une forme
régulière et scientifique ; lorsque Adrien visita l’Égypte, il y trouva
une Église composée de Juifs et de Grecs, et assez importante pour attirer
l’attention de ce prince curieux [1518] .
Mais pendant longtemps les progrès du christianisme ne s’étendirent pas au-delà
des limites d’une seule ville, qui était elle-même une colonie étrangère ;
et jusque vers la fin du second siècle, les prédécesseurs de Démétrius ont été
les seuls prélats de l’Église égyptienne. Trois évêques furent consacrés par la
main de Démétrius ; Héraclas, son successeur, en porta le nombre jusqu’à vingt [1519] . Les naturels
du pays, peuple remarquable par une farouche inflexibilité de caractère [1520] , reçurent la
nouvelle doctrine avec froideur et avec répugnance. Au temps même d’Origène, il
était rare de trouver un Égyptien qui eût surmonté ses anciens préjugés en
faveur des animaux sacrés de sa patrie [1521] .
A la vérité, dès que le christianisme monta sur le trône, le zèle de ces
Barbares obéit à l’impulsion dominante. Les villes de l’Égypte furent remplies
d’évêques et les déserts de la Thébaïde peuplés d’ermites.
Les étrangers et les habitants des Provinces affluaient sans
cesse dans la vaste enceinte de Rome. Tout ce qui était singulier ou odieux,
coupable ou suspect, pouvait espérer, à la faveur de l’obscurité, qu’on trouve
aisément dans une immense capitale, d’éluder la vigilance des lois. Dans ce
concours perpétuel de tant de nations, un ministre de la vérité ou du mensonge,
le fondateur d’une association criminelle ou d’une société vertueuse, trouvait
facilement les moyens d’augmenter le nombre de ses disciples ou de ses
complices. Selon Tacite, les chrétiens de Rome, lors de la persécution
momentanée de Néron, composaient déjà une très grande multitude [1522] ; et le
langage de ce grand historien est presque semblable à celui de Tite-Live, quand
celui-ci rapporte l’introduction et l’abolition des cérémonies de Bacchus.
Lorsque les bacchanales eurent réveillé la sévérité du sénat, on craignit
pareillement qu’une très grande multitude, et pour ainsi dire, un peuple entier
n’eût été initié dans ces horribles mystères. Des recherches plus exactes
montrèrent bientôt que les coupables n’excédaient pas sept mille ; nombre
à la vérité effrayant quand on le considère comme l’objet de la justice
publique [1523] .
C’est avec la même modification, que nous devons interpréter les expressions
vagues de Tacite, et en premier lieu de Pline, lorsque ces deux auteurs parlent
avec exagération de cette foule de fanatiques séduits qui avaient abandonné le
culte des dieux. L’Église de Rome était sans doute la première et la plus
nombreuse de l’empire, et nous avons encore un registre très authentique qui
atteste l’état de la religion dans cette ville, vers le milieu du troisième
siècle, après une paix de trente-huit ans. A cette époque, le clergé était
composé d’un évêque, de quarante-six prêtres, de sept diacres, d’autant de
sous-diacres, de quarante-deux acolytes, et de cinquante lecteurs, exorcistes
et portiers. Le nombre des veuves, des malades et des pauvres soutenus par les
offrandes publiques, se montait à quinze cents [1524] . D’après, la
raison et d’après la proportion que nous donnent les calculs faits sur
l’Église d’Antioche, nous devons croire que Rome renfermait environ cinquante
mille chrétiens. On ne saurait fixer avec exactitude la population de cette
immense capitale ; mais le calcul le plus modéré ne la réduira
certainement pas à moins d’un million d’habitants, dont les chrétiens pouvaient
former tout au plus la vingtième partie [1525] .
Les provinces occidentales paraissent avoir tiré la
connaissance du christianisme de la même source qui leur avait porté le
langage, les sentiments et les mœurs de Rome. Dans cette révolution bien plus
importante, l’Afrique et la Gaule suivirent insensiblement l’exemple de la
capitale. Cependant, malgré plusieurs occasions
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