Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
avait formé de
son temps : on conjecturait que l’empereur lui-même avait embrassé la foi [1689] . C’est aussi ce
qui a fait imaginer, dans la suite, la fable qu’il avait été purifié par une
confession et par la pénitence, du crime dont il s’est rendu coupable en
faisant périr l’innocent Gordien [1690] .
Avec le changement de maître, la chute de Philippe amena un nouveau système de
gouvernement si oppressif pour les chrétiens, que leur condition antérieure,
depuis le temps de Domitien, paraissait un état parfait de liberté et de
sécurité lorsqu’on le comparait avec le traitement rigoureux qu’ils éprouvèrent
pendant le peu d’années du règne de l’empereur Dèce [1691] . Les vertus de
ce prince nie nous permettent pas d’imaginer qu’il ait été animé par un esprit
de vengeance contre les favoris de son prédécesseur. Il est plus raisonnable de
croire qu’avec le projet de rétablir en général les mœurs romaines il voulait
délivrer l’empire de ce qu’il appelait une superstition nouvelle et criminelle.
Les évêques des villes les plus considérables furent enlevés à leurs troupeaux
par l’exil ou par la mort. La vigilance des magistrats empêcha, pendant seize
mois, le clergé de Rome de procéder à une nouvelle élection : les chrétiens
disaient que l’empereur souffrirait plus patiemment dans sa capitale un
compétiteur pour la pourpre, qu’un évêque [1692] .
S’il était possible de supposer que la pénétration de Dèce avait aperçu
l’orgueil sous le manteau de l’humilité, ou qu’il avait entrevu la domination
temporelle que pouvaient insensiblement amener les prétentions de l’autorité
spirituelle, il paraîtrait moins surprenant que ce prince considérât les
successeurs de saint Pierre comme les rivaux les plus formidables des
successeurs d’Auguste. v o
L’administration de Valérien eut un caractère de légèreté
et d’inconstance peu digne de la gravité du censeur romain . Au
commencement de son règne, il surpassa en clémence ces princes qui avalent été
soupçonnés d’attachement à la foi chrétienne. Dans les trois dernières années
et demie, écoutant les insinuations d’un ministre livré aux superstitions de
l’Égypte, il adopta les maximes de son prédécesseur [1693] , et il en imita
la sévérité. L’avènement de Gallien, en augmentant les calamités de l’empire,
rendit la paix à l’Église. Les chrétiens obtinrent le libre exercice de leur
religion par un édit adressé aux évêques, et conçu en termes qui semblaient reconnaître
leur état et leur caractère public [1694] .
Sans être formellement annulées, les anciennes lois tombèrent en oubli, et, si
l’on en excepte quelques intentions attribuées à l’empereur Aurélien [1695] , qui auraient
pu être funestes à l’Église [1696] ,
les chrétiens jouirent pendant plus de quarante ans d’une prospérité, bien plus
dangereuse pour leur vertu que les épreuves les plus cruelles de la
persécution.
L’Histoire de Paul de Samosate qui remplissait le siége
métropolitain d’Antioche à l’époque où l’Orient était entre les mains d’Odenat
et de Zénobie, peut servir à faire connaître la condition de l’esprit des
temps. Les richesses de ce prélat prouvent suffisamment combien il était
coupable, puisqu’elles ne lui venaient point de l’héritage de ses ancêtres, et
qu’il ne les avait point acquises par une honnête industrie. Mais Paul
regardait le service de l’Église sommé une profession très lucrative [1697] . Tout était
vénal dans sa juridiction ecclésiastique. Il tirait de fréquentes contributions
des fidèles les plus opulents, et il s’appropriait une partie considérable du
revenu public. Son orgueil et son luxe avaient rendu la religion chrétienne
odieuse aux gentils. La chambre du conseil et le trône de ce fier
métropolitain, sa magnificence lorsqu’il paraissait en public, la foule de
suppliants qui briguaient un de ses regards, la multitude de lettres et de
placets auxquels il dictait ses réponses, et le tourbillon des affaires qui
l’entraînait sans cesse, convenaient bien mieux à l’état d’un magistrat civil [1698] qu’à l’humilité
d’un évêque de la primitive Église. Quand il haranguait le peuple du haut de la
chaire de vérité, il affectait le style figuré et les gestes peu naturels d’un
sophiste de l’Asie, pendant que les voûtes de la
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