Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
les
circonstances ont été rapportées si diversement et avec tant d’improbabilité,
qu’elle sert plutôt à égarer notre curiosité qu’à la satisfaire. Dans une
petite ville de Phrygie dont on nous a laissé ignorer le nom aussi bien que la
situation, les magistrats et le corps entier du peuple avaient, à ce qu’il
paraîtrait, embrassé la foi chrétienne. Comme le gouverneur de la province
pouvait appréhender quelque résistance, il se fit accompagner d’un nombreux
détachement de légionnaires. A leur approche, les citoyens se retirèrent dans
l’église avec la résolution ou de défendre par les armes cet édifice sacré, ou
de s’ensevelir sous ses ruines. Ils rejetèrent avec indignation l’avis et la
permission qu’on leur donna de se retirer. Enfin les soldats, irrités d’un
refus si opiniâtre, mirent le feu de tous côtés au bâtiment ; et un grand
nombre de Phrygiens [1737] ,
consumés avec leurs femmes et leurs enfants, perdirent la vie dans cette espèce
extraordinaire de martyre [1738] .
Quelques légers troubles qui s’élevèrent en Syrie et sur les
frontières d’Arménie, et qui furent étouffés presque aussitôt qu’excités,
donnèrent de nouvelles armes aux ennemis de l’Église. Ils profitèrent d’un
prétexte si plausible pour insinuer que ces dissensions avaient été fomentées
en secret par les intrigues des évêques, qui avaient déjà oublié leurs
protestations fastueuses d’obéissance passive et illimitée [1739] . Le
ressentiment ou la crainte transporta enfin Dioclétien au-delà des bornes de la
modération qu’il s’était toujours prescrite [1740] : et il
déclara dans une suite d’édits cruels, son intention d’abolir le nom chrétien.
Le premier de ces édits enjoignait aux gouverneurs des provinces de faire
arrêter tous les ecclésiastiques ; et les prisons destinées aux plus vils
criminels furent remplies d’une multitude d’évêques, de prêtres, de diacres, de
lecteurs et d’exorcistes. En vertu d’un second édit, le magistrat eût ordre
d’employer tous les moyens de sévérité qui pouvaient les faire renoncer à leur
odieuse superstition et les ramener du culte des dieux. Cette rigueur
s’étendit, par un troisième édit, au corps entier des chrétiens, qui se
trouvèrent exposés à une persécution générale et violente [1741] . Au lieu de ces
restrictions salutaires qui avaient exigé le témoignage direct et solennel d’un
accusateur, il fut du devoir aussi bien que de l’intérêt des officiers
impériaux de découvrir, de poursuivre, de condamner aux supplices les plus
coupables d’entre les fidèles. On décerna des peines terribles contre ceux qui
oseraient dérober un proscrit a la juste colère des dieux et des empereurs.
Cependant, malgré la sévérité de cette loi, le courage vertueux de plusieurs
païens qui cachèrent leurs parents et leurs amis, est une preuve honorable que
la rage de la superstition n’avait pas éteint dans leur âme les sentiments de
la nature ou de l’humanité [1742] .
Dioclétien n’eut pas plus tôt publié ses édits contre les
chrétiens, que ce prince, comme s’il eut voulu remettre en d’autres mains
l’ouvrage de la persécution, résigna la pourpre impériale. Ses collègues et ses
successeurs, suivant leur caractère et leur situation, se trouvèrent portés,
tantôt à pressé, tantôt à suspendre l’exécution, de ces lois rigoureuses. Pour
nous former une idée juste et distincte de cette période importante de
l’histoire ecclésiastique, il est nécessaire de considérer séparément l’état du
christianisme dans les différentes parties de l’empire durant les dix années
qui s’écoulèrent entre les premiers édits de Dioclétien et le temps où la paix
fut enfin rendue pour toujours à l’Église.
Le caractère doux et affable de Constance répugnait à tout
ce qui pouvait opprimé quelques-uns de ses sujets. Les principales charges de
son palais étaient exercées par des chrétiens. Il chérissait leurs personnes,
il estimait leur fidélité, et il n’avait aucune aversion pour leurs principes
religieux. Mais tant que ce prince demeura dans le rang subordonné de César, il
ne lui fut pas possible de rejeter ouvertement les édits de Dioclétien ni de
désobéir aux commandements de Maximien. L’autorité de Constance adoucit
cependant les maux qu’il détestait et qui excitaient sa compassion. Il
consentit avec peine à
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