Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
avait publié un libelle contre
l’empereur ; le coupable se réfugia dans le palais épiscopal : quoique ce ne
fût pas tout à fait encore le temps de réclamer les immunités ecclésiastiques,
l’évêque refusa de le livrer aux officiers de la justice. Une résistance si
contraire aux lois méritait d’être punie : Mensurius fut mandé à la cour ;
au lieu de le condamner à mort ou au bannissement, on lui accorda, après un
court examen, la permission de retourner dans son diocèse [1750] . Telle était la
condition heureuse des chrétiens soumis à Maxence, que lorsqu’ils désiraient de
se procurer le corps de quelques martyrs, ils se trouvaient obligés de les
acheter dans les provinces de l’Orient les plus éloignées. On rapporte une
histoire d’Aglaé, dame romaine, qui descendait d’une famille consulaire, et
dont les biens étaient si considérables, que, pour les diriger, elle avait
besoin de soixante-treize intendants. Boniface, l’un d’entre eux, avait gagné
les bonnes grâces de sa maîtresse, et comme Aglaé mêlait l’amour à la dévotion,
on prétend qu’elle l’admit à partager son lit. Elle voulait avoir quelques
reliques sacrées de l’Orient, et sa fortune la mettait en état de satisfaire
ses pieux désirs. Elle confia à son amant une somme d’or considérable et une
grande quantité d’aromates et Boniface, accompagné de douze hommes à cheval, et
de trois chariots couverts, entreprit un pèlerinage éloigné [1751] , jusqu’à la
ville de Tarse, en Cilicie [1752] .
L’humeur sanguinaire de Galère, le premier et le principal
auteur de la persécution, le rendait redoutable aux chrétiens qu’un sort
malheureux avait placés dans les limites de ses États. Il est à croire que
plusieurs personnes d’un rang médiocre, et qui n’étaient retenues ni par les
chaînes de l’opulence ni par celles de la pauvreté, désertèrent leur pays natal
et cherchèrent un asile dans les climats moins orageux de l’Occident. Tant que
Galère ne commanda qu’aux armées et aux provinces de l’Illyrie, il ne lui fut
pas facile de trouver ni de faire un nombre considérable de martyrs, dans une
province belliqueuse [1753] ,
où les missionnaires de l’Évangile avaient été reçus avec plus de froideur et
de répugnance que dans aucune autre partie de l’empire [1754] . Mais lorsque
Galère eut obtenu la puissance suprême, et le gouvernement de l’Orient, il put
se livrer à l’ardeur de son zèle et satisfaire toute sa cruauté, non seulement
dans les provinces de la Thrace et de l’Asie, qui reconnaissaient son autorité
immédiate ; mais encore dans celles de la Syrie, de la Palestine et de
l’Égypte, où Maximin satisfaisait sa propre inclination, en obéissant
rigoureusement aux ordres violents de son bienfaiteur [1755] . Les traverses
que Galère essuya souvent dans l’exécution de ses projets ambitieux,
l’expérience de six années de persécution, et les réflexions salutaires qu’une
maladie lente et douloureuse fit naître dans son esprit, le convainquirent à la
fin que les plus violents efforts du despotisme ne suffisent pas pour
exterminer tout un peuple, ou pour subjuguer ses préjugés religieux. Comme il
désirait de réparer les maux qu’il avait causés, on publia, par ses ordres, au
nom de Galère, de Licinius et de Constantin, un édit qui, après une énumération
pompeuse des titres impériaux, était conçu en ces termes :
Parmi les soins importants dont nous nous sommes occupés
pour l’utilité et pour la conservation de l’État, nous nous étions proposé de
rétablir l’ordre et de corriger tous les abus contraires aux anciennes lois et
à la discipline publique des Romains. Nous avions principalement intention de
ramener dans les voies de la raison et de la nature les chrétiens aveuglés, qui
avaient abandonné la religion et les cérémonies de leurs ancêtres, et qui,
méprisant audacieusement les pratiques de l’antiquité, avaient inventé des lois
et des opinions extravagantes, sans autre règle que leur fantaisie, et avaient
formé diverses sociétés dans les différentes provinces de notre empire. Comme
les édits que nous avons publiés pour maintenir le culte des dieux ont exposé
plusieurs chrétiens aux périls et aux calamités ; comme quelques-uns
d’entre eux ont souffert la mort ; et que d’autres, en bien plus grand
nombre, qui persistent toujours dans leurs folles impiétés, se trouvent privés
de tout
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