Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
l’opinion de la
postérité. La reconnaissance des chrétiens a décoré le libérateur de l’Église
de tous les attributs d’un héros et même d’un saint. La haine d’un parti
sacrifié a représenté Constantin comme le plus abominable des tyrans qui aient
déshonoré la pourpre impériale par leurs vices et leur faiblesse. Les mêmes
passions se sont perpétuées chez les générations suivantes ; et le caractère de
cet empereur est encore aujourd’hui l’objet de l’admiration des uns et de la
satire des autres. En rapprochant sans partialité, dans son caractère, les
défauts qu’avouent ses plus zélés partisans, et les vertus que sont forcés de
lui accorder ses plus implacables ennemis, nous pourrions peut-être nous
flatter de tracer, un portrait de cet homme extraordinaire, tel que la candeur
et la vérité de l’histoire pussent l’adopter sans rougir [1974] ; mais en
cherchant à fondre ensemble des couleurs, si contraires, et à allier des
qualités si opposées, nous ne présenterions qu’une figure monstrueuse, et
inexplicable, si nous ne prenions soin de l’exposer dans son vrai jour, en
séparant attentivement les diverses périodes de son règne.
La nature avait orné la personne et l’esprit Constantin de
ses dons les plus précieux. Sa taille était haute, sa contenance majestueuse,
son maintien gracieux. Il faisait admirer sa force et son activité dans tous
les exercices qui conviennent à un homme ; et depuis sa plus tendre jeunesse,
jusqu’à l’âge le plus avancé, il conserva la vigueur de son tempérament par la
régularité de ses mœurs et par sa frugalité. Il aimait à se livrer aux charmes
d’une conversation familière ; et quoiqu’il s’abandonnât, quelquefois à son
penchant pour la raillerie, avec moins de réserve qu’il ne convenait à la
dignité sévère de son rang, il gagnait le cœur de ceux qui l’approchaient, par
sa courtoisie et par son urbanité. On l’accuse de peu de sincérité en amitié.
Cependant il a prouvé en différentes occasions de sa vie qu’il n’était pas
incapable d’un attachement vif et durable. Une éducation négligée ne l’empêcha
pas d’estimer le savoir ; et les sciences, ainsi que les arts, reçurent
quelques encouragements de sa munificence protectrice. Il était d’une activité
infatigable dans les affaires ; et les facilités de son esprit étaient presque
toujours employées soit à lire ou à méditer, soit à écrire, à donner audience
aux ambassadeurs, et à recevoir les plaintes de ses sujets. Ceux qui se sont
élevés le plus vivement contre sa conduite, ne peuvent nier qu’il ne conçût
avec grandeur et qu’il n’exécutât avec patience les entreprises les plus
difficiles ; sans être arrêté ni par les préjugés de l’éducation, ni par les
clameurs de la multitude. À la guerre, il faisait des héros de tous ses
soldats, en se montrant lui-même soldat intrépide et général expérimenté ; il
dût moins à la fortune qu’à ses talents les victoires signalées qu’il remporta
contre ses ennemis et contre ceux de l’État. Il cherchait la gloire comme la
récompense, peut-être comme le motif de ses travaux. L’ambition démesurée qui,
depuis l’instant où il fût revêtu de la pourpre à York, parut toujours être sa
passion dominante, peut-être justifiée par le danger de sa situation, par le
caractère de ses rivaux, par le sentiment de sa supériorité, et par l’espoir
que ses succès le mettraient en état de rétablir l’ordre et la paix dans
l’empire déchiré. Dans les guerres civiles contre Maxence et contre Licinius,
il avait pour lui les vœux du peuple, qui comparaît les vices effrontés de ces
tyrans à l’esprit de sagesse et de justice par lequel semblait être
généralement dirigée l’administration de Constantin [1975] .
Telle est à peu près l’opinion que Constantin aurait pu
laisser de lui à la postérité, s’il eût trouvé la mort sur les bords du Tibre
ou dans les plaines, d’Andrinople. Mais la fin de sa vie, selon les expressions
modérées et même indulgentes d’un auteur de son siècle, le dégrada du rang
qu’il avait acquis parmi les plus respectables souverains de l’empire romain.
Dans la vie d’Auguste, nous voyons le tyran de la république devenir par degrés
le père de la patrie et du genre humain. Dans celle de Constantin, soit que la
fortune eût corrompu, ou que la grandeur l’eût seulement dispensé d’une
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