Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
sénateurs
consulaires et de familles patriciennes. Sa troisième sœur, Constantia, fut
remarquable par sa haute fortune et par les malheurs dont elle fut suivie. Elle
resta veuve de Licinius ; elle en avait un fils, auquel, à force de prières,
elle conserva quelque temps la vie, le titre de César, et un espoir précaire à
la succession de son père. Outre les femmes et les alliers de la maison
Flavienne, dix ou douze mâles auxquels l’usage des cours modernes donnerait le
titre de princes du sang , semblaient destinés, par l’ordre de leur
naissance, à hériter du trône de Constantin ou à en être l’appui ; mais en
moins de trente ans, cette race nombreuse et fertile fut réduite à Constance et
à Julien qui avaient seuls survécu à une suite de crimes et de calamités
comparables à ce qu’ont offert aux poètes tragiques les races dévouées de
Pélops et de Cadmus.
Crispus, le fils aîné de Constantin, et l’héritier
présomptif de l’empire, est représenté par les écrivains exempts de partialité,
comme un jeune prince aimable et accompli. Le soin de son éducation, ou du
moins de ses études, avait été confié à Lactance, le plus éloquent des
chrétiens. Un tel précepteur était bien propre à former le goût et à développer
les vertus de son illustre disciple [1982] .
A l’âge de dix-sept ans, Crispus fut nommé César, et on lui confia le
gouvernement des Gaules, où les invasions des Germains lui donnèrent de bonne
heure les occasions de signaler ses talents militaires. Dans la guerre civile
qui éclata bientôt après, le père et le fils partagèrent le commandement ; et
j’ai déjà célébré dans cette histoire la valeur et l’intelligence que déploya
Crispus en forçant le détroit de l’Hellespont, que défendait avec tant
d’obstination la flotte supérieure de Licinius. Cette victoire navale contribua
à déterminer l’événement de la guerre. Les joyeuses acclamations du peuple
d’Orient unirent le nom de Crispus à celui de l’empereur. On proclamait
hautement le bonheur du monde conquis et gouverné par un empereur doué de
toutes les vertus, et par son fils, prince déjà illustre, le bien-aimé du ciel,
et la vivante image des perfections de son père. La faveur publique, rarement
attachée à la vieillesse, répandait tout son éclat sur la jeunesse de Crispus.
Il méritait l’estime et gagnait les cœurs des courtisans, de l’armée et du
peuple. Les peuples ne rendent hommage qu’avec répugnance au mérite du prince
régnant ; la mesure en est connue ; la voix de la louange est couverte par
l’injustice et les murmures des mécontents. Mais ils se plaisent à fonder sur
les vertus naissantes de l’héritier de leur souverain des espérances illimitées
de bonheur public et particulier [1983] .
Cette dangereuse popularité excita l’attention de
Constantin. Comme père et comme empereur, il ne voulait point souffrir d’égal.
Au lieu d’assurer la fidélité de son fils par les nobles liens de la confiance
et de la reconnaissance, il résolut de prévenir ce qu’on pouvait avoir à
craindre des mécontentements de son ambition. Crispus eût bientôt à se plaindre
de ce que son frère, encore enfant, était envoyé, avec le titre de César, pour
gouverner son département des Gaules [1984] ,
tandis que lui, Crispus, malgré son âge et ses services récents et signalés, au
lieu de se voir élevé au rang d’Auguste, demeurait comme enchaîné à la cour de son
père, et exposé, sans crédit et sans autorité, à toutes les calomnies dont il
plaisait à ses ennemis de le noircir. Il est assez probable, que, dans ces
circonstances difficiles, le jeune prince n’eut pas toujours la sagesse de
veiller à sa conduite, de contenir son ressentiment, et on ne doit pas douter
qu’il ne fût entouré d’un nombre de courtisans perfides ou indiscrets, témoins
de l’imprudente chaleur de ses emportements, toujours occupés à l’enflammer, et
peut-être instruits à le trahir. Un édit qui fut publié vers ce temps-là par
Constantin annonce qu’il croyait, ou feignait de croire à une conspiration
formée contre sa personne et son gouvernement. Il invite les délateurs de
toutes les classes, en leur promettant des honneurs et des récompenses, à
accuser sans exception les magistrats, les ministres, et jusqu’à ses plus
intimes favoris, après avoir donné sa parole royale qu’il entendra lui-même les
dépositions, et qu’il se
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