Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
guère le contraindre que par des punitions corporelles [1969] . Les cruautés,
qu’on exerçait sur les débiteurs insolvables de l’État, sont attestées et ont
peut-être été adoucies par un édit plein d’humanité de Constantin lui-même, où
il proscrit l’usage des fouets et des tortures, et l’accorde pour le lieu de
leur détention une prison aérée et spacieuse.
Ces taxes générales étaient imposées et perçues par
l’autorité absolue des empereurs ; mais les offrandes accidentelles des
couronnes d’or conservèrent toujours le nom et l’apparence de dons volontaires.
C’était une ancienne coutume que ceux des alliés de la république qui devaient
ou leur délivrance ou leur sûreté aux armées romaines, ou même que les villes
d’Italie, qui admiraient les vertus de leurs généraux, enrichissent la pompe de
leur triomphe par le don volontaire d’une couronne d’or, que l’on plaçait,
après la cérémonie, dans le temple de Jupiter, comme un monument durable qui
rappelait à la postérité le souvenir de la victoire et celui du vainqueur [1970] . Le zèle et
l’adulation en multiplièrent bientôt le nombre et en augmentèrent le poids. Le
triomphe de César fut orné de deux mille huit cent vingt-deux couronnes d’or
massif, dont le poids montait à vingt mille quatre cent quatorze livres d’or.
Le prudent dictateur fit fondre immédiatement ce trésor, convaincu que ses
soldats en tireraient plus d’usage que les dieux. Son exemple fut suivi par ses
successeurs, et l’usage s’introduisit de substituer, à ces magnifiques
ornements le don beaucoup plus utile d’une somme en or, au coin de l’empire [1971] . L’offrande
libre fut à la fin exigée comme une dette de rigueur ; et, au lieu de la
restreindre aux cérémonies d’un triomphe, on la demandait aux différentes
provinces et aux villes de l’empire, toutes les fois que le monarque daignait
annoncer ou son avènement, ou son consulat, ou la création d’un César ou une
victoire sur les Barbares, ou enfin quelque autre événement réel ou imaginaire
qu’il jugeait propre à décorer les annales de son règne. Le don volontaire du
sénat romain, en particulier, était fixé, par l’usage, à seize cents livres
d’or, environ soixante-quatre mille livres sterling. Les citoyens opprimés se
félicitaient de l’indulgence avec laquelle le souverain daignait accepter ce
faible témoignage de leur reconnaissance et de leur fidélité [1972] .
Un peuple enflammé par orgueil ou aigri par le malheur est
rarement susceptible de juger sainement de sa propre situation. Les sujets de
Constantin étaient incapables d’apercevoir cette décadence du génie de la
vertu, qui les dégradait si entièrement de la dignité de leurs ancêtres ; mais
ils sentaient et savaient déplorer les fureurs de la tyrannie, le relâchement
de la discipline, et l’augmentation énorme des impôts. L’historien impartial,
en reconnaissant la justice de leurs plaintes, observera avec plaisir quelques
circonstances tendant à adoucir le malheur de leur condition. L’irruption
menaçante des Barbares, qui détruisirent les fondements de la grandeur romaine,
était encore arrêtée du repoussée sur les frontières. Les sciences et les arts
étaient cultivés, et les habitants d’une grande partie du globe jouissaient des
plaisirs délicats de la société. La forme, la pompe et la dépense de
l’administration civile, contribuèrent à contenir la licence des soldats ; et
quoique les lois fussent souvent ou violées par le despotisme, ou corrompues
par l’artifice, les sages principes de la jurisprudence romaine maintinrent un
fond d’ordre et d’équité inconnu aux gouvernements absolus de l’Orient. Les
droits de l’homme trouvaient encore quelques secours dans la religion et la
philosophie ; et l’antique nom de liberté, qui n’alarmait plus les successeurs
d’Auguste, pouvait encore leur rappeler que tous leurs sujets n’étaient pas des
esclaves ou des Barbares [1973] .
Chapitre XVIII
Caractère de Constantin. Guerre des Goths. Mort de Constantin. Partage de
l’empire entre ses trois fils. Mort tragique de Constantin le jeune et de
Constans. Usurpation de Magnence. Guerre civile ; victoire de Constance.
LE CARACTÈRE d’un prince qui déplaça le siège de l’empire,
et qui introduisit de si importantes innovations dans la constitution civile et
religieuse de son pays, a figé l’attention et partagé
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