Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
terres adjacentes. A force de travaux, les Persans
arrêtèrent le cours de la rivière au-dessous de la ville, et de solides
montagnes de terre furent élevées pour retenir de tous côtés les eaux. Sur ce
lac artificiel, une flotte de vaisseaux armés, chargés de soldats et de
machines qui lançaient des pierres du poids de cinq cents livres, s’avança en
ordre de bataille, et combattit presque de plain pied les troupes qui
défendaient les remparts. La force irrésistible des eaux fut alternativement
fatale aux deux partis, jusqu’a ce que le mur, ne pouvant soutenir un poids qui
augmentait à chaque instant, s’écroula enfin en partie, et présenta une énorme
brèche de cent cinquante pieds de longueur. Les Persans furent aussitôt
conduits à l’assaut ; et l’événement de cette journée devait décider du destin
de Nisibis. La cavalerie pesamment armée qui conduisait la tête d’une profonde
colonne s’embourba dans le limon des terres délayées, et un grand nombre de
cavaliers furent engloutis dans des trous recouverts par les eaux. Les
éléphants, furieux de leurs blessures, augmentaient le désordre, et écrasaient
sous leurs pieds des milliers d’archers persans. Le grand roi, qui, de la
hauteur où l’on avait placé son trône, contemplait avec indignation le mauvais
succès de son entreprise, fit à regret donner le signal de la retraite, et
suspendit l’attaque jusqu’au lendemain. Mais les vigilants défenseurs de
Nisibis profitèrent avec activité des ombres de la nuit, et le lever de
l’aurore découvrit un nouveau mur déjà haut de six pieds, qu’ils continuaient à
élever pour remplir la brèche. Trompé dans son espérance, Sapor ne perdit point
courage ; et, malgré la perte de vingt mille hommes, il continua le siége avec
une obstination qui ne pût céder qu’à la nécessité de défendre les provinces
orientales de la Perse contre la formidable invasion des Massagètes [2042] . Alarmé de
cette nouvelle, il abandonna le siége précipitamment, et courut avec rapidité
des bords du Tigre à ceux de l’Oxus. Les embarras et les dangers d’une guerre
contre les Scythes l’engagèrent bientôt à conduire ou du moins à observer une
trêve avec l’empereur. Elle fut également agréable à l’un et à l’autre de ces
monarques. Constance, après la mort de ses deux frères, se trouva sérieusement
occupé des révolutions de l’Occident, et d’une guerre civile qui demandait et
semblait surpasser les vigoureux efforts de toutes ses forces réunies.
Trois ans s’étaient à peine écoulés depuis le partage de
l’empire, et déjà les fils de Constantin semblaient impatients de montrer au
monde qu’ils étaient incapables de suffire à leur ambition. L’aîné de ces
princes se plaignit qu’il n’avait pas assez profité du meurtre de ses cousins ;
et qu’on avait fait de leurs dépouilles une répartition inégale : il ne
réclamât rien de Constance, qui avait à ses yeux le mérite du crime, mais il
exigeait de Constans la cession des provinces de l’Afrique, comme un équivalent
des riches contrées de Grèce et de Macédoine, qu’il avait obtenues à la mort de
Dalmatius. Irrité du peu de sincérité d’une longue et inutile négociation
Constantin suivit les conseils de ses favoris, qui tâchaient de lui persuader
que son honneur et son intérêt lui défendaient également d’abandonner cette
réclamation. A la tête d’un mélange confus de soldats tumultuairement
assemblés, et plus faits pour piller que pour conquérir, il fondit sur les
États de Constans par la route des Alpes Juliennes, et fit tomber sur les
environs d’Aquilée les premiers effets de son ressentiment. Les mesures de
Constans, qui résidait alors en Dacie, furent dirigées avec plus de sagesse et
d’intelligence. Ayant appris l’invasion de son frère il détacha un corps choisi
et discipliné de troupes illyriennes, qu’il se proposait de suivre lui-même
avec le reste de ses forces. Mais la conduite de ses lieutenants termina la
querelle de ces frères dénaturés. En feignant artificieusement de fuir devant
Constantin, ils attaquèrent dans une embuscade au milieu d’un bois. Le jeune
imprudent mal accompagné fut surpris, environné et tué. Quand on eut retiré son
corps des eaux bourbeuses de l’Alsa, on le déposa dans un sépulcre impérial ;
mais ses provinces reconnurent le vainqueur pour maître, et firent serment de
fidélité à Constans, qui,
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