Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
refusant de partager ses nouvelles acquisitions avec
son frère, posséda sans contestation plus des deux tiers de l’empire romain [2043] .
Le terme fatal de Constans lui-même fut encore retardé
d’environ dix ans, et la mort de son frère fut vengée par la main ignoble d’un
serviteur perfide. La mauvaise administration des trois princes, les vices et
les faiblesses qui leur firent perdre l’estime et l’affection des peuples,
découvrirent la tendance pernicieuse du système introduit par Constantin.
L’inapplication et l’incapacité de Constans rendaient ridicule et insupportable
l’orgueil, que lui donnèrent des succès guerriers qu’il n’avait pas mérités. Sa
partialité pour quelques captifs germains qui n’avaient d’autre mérite que les
grâces de leur figure, était un sujet de scandale [2044] . Magnence,
soldat amitieux, d’extraction barbare, fut encouragé par le mécontentement
public à soutenir l’honneur du nom romain [2045] .
Les bandes choisies des joviens et des herculiens, qui reconnaissaient Magnence
pour leur chef, tenaient toujours la place d’honneur dans le camp impérial.
L’amitié de Marcellinus, comte des largesses sacrées, suppléait libéralement
aux moyens de séduction. On sut convaincre les soldats, par les arguments les
plus spécieux, que la république les sommait de briser les liens d’une
servitude héréditaire, et de récompenser par le choix d’un prince actif et
vigilant, les mêmes vertus qui de l’état de citoyen avaient élevé sur le trône
du monde les ancêtres dont avait dégénéré Constans. Quand on crût avoir
suffisamment préparé les esprits, Marcellinus, sous prétexte de célébrer le jour
de la naissance de son fils, donna une fête magnifique aux personnages illustres et honorables de la cour des Gaules, qui résidait alors à Autun. Les
excès du festin furent prolongés avec adresse bien avant dans la nuit, et les
convives, sans défiance, se laissaient aller à une coupable et dangereuse
liberté de conversation : tout d’un coup les portes s’ouvrent avec fracas,
et Magnence, qui s’était retiré depuis quelques instants, rentre revêtu de la
pourpre et du diadème. Les conspirateurs se lèvent à l’instant, et le saluent
des noms d’Auguste et d’empereur. La surprise, la frayeur, l’ivresse, les
espérances ambitieuses, et l’ignorance du reste de l’assemblée, contribuèrent à
rendre l’acclamation unanime. Les gardes se hâtèrent de prêter le serment de fidélité.
On ferma les portes de la ville, et, avant le retour de l’aurore, Magnence se
trouva maître des troupes, du trésor, du palais et de la ville d’Autun. Il eut
quelque espérance de s’emparer de la personne de Constans avant que ce prince
fût informé de la révolution. Il s’amusait à son ordinaire, à courir la chasse
dans la forêt voisine, ou prenait peut-être quelque plaisir plus secret et plus
coupable ; le vol agile de la renommée lui laissa cependant un instant pour la
fuite : c’était sa seule ressource, puisque la désertion de ses troupes et
l’infidélité de ses sujets ne lui laissaient aucun moyen de résistance. Mais
avant d’avoir pu atteindre un port d’Espagne où il se proposait de s’embarquer,
il fut arrêté auprès d’Helena [2046] ,
au pied des Pyrénées, par un parti de cavalerie légère, dont le commandant,
sans respect pour la sainteté d’un temple, exécuta sa commission en assassinant
le fils de Constantin [2047] .
Aussitôt que la mort de Constans eut affermi cette facile et
importante révolution l’exemple de la cour d’Autun fut suivi par toutes les
provinces de l’Occident. Les deux grandes préfectures des Gaules et de l’Italie
reconnurent l’autorité de Magnence, et l’usurpateur s’occupa du soin d’amasser
par toutes sortes d’exactions un trésor qui pût suffire aux immenses
libéralités qu’il avait promises et aux frais d’une guerre civile. Les contrées
guerrières de l’Illyrie, depuis le Danube jusqu’à l’extrémité de la Grèce,
obéissaient depuis longtemps à Vetranio, vieux général qui avait su se faire
aimer par la simplicité de ses mœurs, et dont l’expérience et les services
militaires avaient obtenu quelque considération [2048] . Affectionné
par habitude, par devoir et par reconnaissance, à la maison de Constantin, il
donna sur-le-champ les plus fortes assurances au seul fils qui restât de son
ancien maître, qu’il exposerait avec une
Weitere Kostenlose Bücher