Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
les
traitements qu’ils en avaient soufferts rendaient leur irréconciliable ennemi.
Les embarras de l’État obligèrent cependant l’empereur, ou plutôt les eunuques,
à revêtir Gallus du titre de César dans la vingt-cinquième année de son âge [5
mars 351] ; et ils cimentèrent cette alliance politique en lui faisant épouser
la princesse Constantina. Après la cérémonie d’une entrevue dans laquelle les
deux princes firent le serment mutuel de ne jamais rien entreprendre au
préjudice l’un de l’autre, ils se retirèrent chacun dans leur résidence ;
Constance continua sa marche vers l’Occident, et Gallus se fixa dans la ville
d’Antioche, d’où, avec une autorité subordonnée, il gouverna les cinq grands
diocèses de la préfecture orientale [2088] .
Dans cet heureux changement de fortune, il n’oublia pas son frère Julien [2089] , qui obtint les
honneurs de son rang, l’apparence de la liberté, et la restitution d’un ample
patrimoine [2090] .
Les historiens les plus indulgents pour la mémoire de
Gallus, et Julien lui-même qui désirait tirer un voile sur les faiblesses de
son frère, avouent que ce César était incapable de régner. Transporté d’une
prison sur un trône, il n’avait ni le génie, ni l’application, ni même la
docilité nécessaires pour compenser le défaut de théorie et d’expérience. La
solitude et l’adversité avaient plus aigri que corrigé son caractère sombre et
violent, et le souvenir de ce qu’il avait souffert, disposait son âme à la
vengeance plutôt qu’à la compassion. Les violents accès de sa fureur,
extravagante furent souvent funestes à ceux qui approchaient sa personne ou qui
dépendaient de son autorité [2091] .
Constantina, son épouse, que l’on dépeint non pas comme une femme, mais comme
une furia toujours altérée de sang humain [2092] ,
au lieu d’employer l’influence, qu’elle avait, sur Gallus pour le contenir dans
les bornes de la patience et de l’humanité, irritait sans cesse la férocité de
ses passions. Quoiqu’elle eût renoncé, aux vertus de son sexe, elle en
conservait la vanité. On lui vit accepter un collier de perles, comme le prix
suffisant du meurtre d’un innocent ; distingué par sa naissance et par ses
vertus [2093] .
Gallus, de son côté, manifestait quelquefois ouvertement sa cruauté par des
exécutions militaires et des massacres populaires. Quelquefois il la déguisait
sous le masque trompeur des formalités de la justice. Les endroits publics et
les maisons des particuliers étaient assiégés par une troupe d’espions et de
délateurs ; et le César lui-même, déguisé sous un habit plébéien, s’abaissait à
jouer ce rôle odieux et méprisable. Tous les appartements du palais étaient
ornés d’instruments de mort et de torture, et la consternation régnait sur
toute la capitale de la Syrie. Comme s’il eût senti tout ce qu’il avait à
craindre et combien il était peu digne de régner, le prince de l’Orient
choisissait pour ses victimes, soit des habitants de la province, accusés de
quelque crime imaginaire de lèse-majesté, soit ses propres courtisans qu’il
soupçonnait, avec plus de raison, d’irriter contre lui par leur correspondance
secrète, le timide et soupçonneux Constance. Mais il ne réfléchissait pas qu’en
se faisant détester des peuples, il perdait sa seule ressource, en même temps,
qu’il fournissait à la haine de ses ennemis les armes de la vérité ; et à
l’empereur un prétexte équitable de le priver de la pourpre et de la vie [2094] .
Aussi longtemps que la guerre civile tint en suspens le sort
du monde romain, Constance feignit d’ignorer les atrocités de la faible
administration à laquelle, en choisissait Gallus, il avait assujetti les
provinces de l’Orient. La découverte de quelques assassins que le tyran des
Gaules avait envoyés secrètement, à Antioche, servit à persuader au public que
l’empereur et le César étaient unis d’intérêt, et poursuivis par les mêmes
ennemis [2095] .
Mais, dès que Constance eut obtenu la victoire, son collègue subordonné cessa
de lui être utile, et de lui paraître formidable. On examina soigneusement et
sévèrement sa conduite ; on pesa chacune de ses actions, et il fut résolu en
secret de lui ôter la pourpre, ou de l’éloigner au moins de la molle oisiveté
de l’Asie, en l’exposant aux fatigues et aux dangers de la guerre de Germanie.
La mort de Théophile, consulaire de
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