Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Syrie qui avait été massacré dans un moment
de disette, par le peuple d’Antioche, de connivence avec Gallus, et presque à
son instigation, fut représentée non seulement comme un trait de barbarie, mais
comme une insulte dangereuse, pour la majesté suprême de Constance. Deux
ministres d’un rang illustre, Domitien, préfet oriental, et Montius, questeur
du palais, reçurent la commission de visiter les provinces de l’Orient, et d’en
réformer l’administration. On leur recommanda de se conduire respectueusement
avec Gallus, et de l’engager, par la persuasion, à céder aux désirs de son
frère et de son collègue. La témérité du préfet dérangea ces mesures prudentes,
et hâta en même temps sa propre ruine et celle de son ennemi. En arrivant à
Antioche, Domitien passa dédaigneusement devant les portes du palais, et, sous
le léger prétexte d’une indisposition, resta plusieurs jours enfermé pour
composer un mémoire sanglant qu’il fit passer à la cour impériale. Cédant enfin
aux pressantes sollicitations de Gallus, le préfet consentit à prendre sa place
dans le conseil ; mais sa première démarche fut de signifier avec arrogance au
César un ordre de partir sur-le-champ pour l’Italie, et une insolente menace de
punir lui-même la résistance ou le délai en suspendant, le paiement de sa
maison. Le neveu et la fille de Constantin pouvaient difficilement souffrir
cette insolence d’un sujet. Enflammés de colère, ils firent arrêter par leurs
gardes, le préfet Domitien. L’affaire était encore susceptible d’accommodement
; mais il devint impraticable par l’imprudence de Montius, à qui un caractère
léger faisait perdre trop souvent l’avantage de ses talents et de son
expérience [2096] .
Le questeur témoigna sa surprise à Gallus, dans les termes les plus offensants,
de ce qu’étant à peine autorisé à déposer un magistrat municipal, il avait la
hardiesse de faire arrêter un préfet du prétoire ; et, ayant assemblé tous les
officiers civils et militaires, il leur ordonna, au nom du souverain, de
défendre la personne et la dignité de ses représentants. Cette imprudente
déclaration de guerre, précipita l’impatient Gallus dans les démarches les plus
désespérées. Il fit prendre les armes à sa garde, assembla le peuple
d’Antioche, et lui confia le soin de sa vengeance et de sa sûreté. Ses ordres
furent cruellement suivis ; la populace saisit le préfet et le questeur,
et, après leur avoir lié les jambes avec des cordes, les traîna dans les rues,
en accablant de coups et d’injures ces malheureuses victimes, dont elle
précipita les corps morts et défigurés dans le fleuve de l’Oronte [2097] .
Après s’être porté à cette extrémité, quels que fussent les
desseins de Gallus, ce n’était que dans un champ de bataille qu’il pouvait
espérer de défendre avec succès son innocence. Mais l’âme de ce prince était un
mélange de violence et de faiblesse. Au lieu de prendre le titre d’Auguste, et
d’employer à sa défense les troupes et les trésors de l’Orient, il se laissa
tremper par l’artificieuse tranquillité de Constance, qui, lui laissant le
faste illusoire de sa cour, rappela insensiblement les vieilles légions des
provinces d’Asie. Mais comme il pouvait être encore dangereux d’arrêter Gallus
dans sa capitale, on se servit avec succès du moyen lent et sûr de la
dissimulation. Constance lui écrivait souvent, et l’exhortait, par des
expressions de confiance et d’amitié, à remplir les devoirs de son rang, à
décharger son collègue d’une partie des soins publics, et à venir protéger
l’Occident par sa présence, par ses conseils et par ses armes. Tant d’injures
réciproques auraient dut éveiller les craintes et les soupçons de Gallus ; mais
il avait négligé les occasions de la fuite et de la résistance, et il s’était
laissé séduire par les discours flatteurs de Scudilo, tribun militaire, qui,
sous l’apparente rudesse d’un soldat, cachait l’adresse la plus insinuante,
Gallus comptait sur le crédit de son épouse Constantina, dont la mort fatale,
dans la circonstance présente, consomma les malheurs où elle avait entraîné son
mari par ses passions impétueuses [2098] .
Après, un long délai, le prince partit avec répugnance pour
la cour impériale. Depuis Antioche jusqu’à Andrinople, il traversa la vaste
étendue de ses États avec une suite nombreuse et brillante. Pour
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