Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
sans se dégrader jusqu’à
flatter le tyran par une apparente approbation du meurtre de son frère. Julien
attribue dévotement sa délivrance miraculeuse à la protection des dieux, qui
avaient excepté son innocence de la sentence de destruction prononcée par leur
justice contre la maison impie de Constantin [2103] . Le moyen
victorieux dont la Providence s’est servie est, dit-il, la ferme et généreuse
amitié de l’impératrice Eusebia [2104] ,
princesse aussi distinguée par son mérite que par sa beauté, et, dont
l’ascendant sur l’esprit de son mari contrebalançait en quelque sorte la
puissante ligue des eunuques. Ce fut par son intercession que l’empereur
consentit à voir Julien. Il plaida sa cause avec une noble assurance, et fût
écouté favorablement. L’indulgence d’Eusebia prévalut, dans le conseil, sur les
efforts des eunuques. Ils tâchaient de démontrer qu’il était dangereux de
laisser un vengeur du sang de Gallus, et, craignant l’effet d’une seconde
entrevue, ils engagèrent Julien à se retirer dans les environs de Milan ; jusqu’au
moment où l’empereur lui assigna la ville d’Athènes pour le lieu honorable de
son exil. Il avait montré, dès sa tendre jeunesse, un goût ou plutôt une
passion pour la langue, les mœurs, les sciences et la religion des Grecs ; il
obéit avec plaisir à un ordre si conforme à ses désirs. Loin du tumulte des
armes et de la perfidie des cours, il passa six mois au milieu des bocages de
l’académie, et dans la conversation familière des philosophes du siècle, qui
travaillèrent à cultiver le génie, à exciter la vanité, et à enflammer la
dévotion de leur auguste élève. Leurs soins furent couronnés de succès. Julien
conserva inviolablement pour Athènes la tendresse qu’une âme généreuse éprouve
toujours au souvenir de l’endroit où elle a senti naître et brille les premiers
rayons de son génie. La douceur et l’affabilité qu’il tenait de la nature, et
que lui imposait sa situation, lui gagnaient l’amitié, des étrangers et des
citoyens qui conversaient avec lui. Quelques-uns de ses compagnons d’étude le
virent peut-être d’un œil prévenu par l’inimitié ; mais Julien fit naître dans
les écoles d’Athènes une estime générale pour ses talents et pour ses vertus,
et il jouit bientôt, dans tout le monde romain, d’une honorable réputation [2105] .
Tandis que dans la retraite, Julien employait son temps à
s’instruire, l’impératrice, résolue, d’achever sa généreuse entreprise,
n’oubliait pas le soin de sa fortune. Par la mort du dernier César, Constance
se trouvait chargé seul du commandement, et sentait accablé du poids de ce
vaste et puissant empire. Les plaies faites par la guerre civile n’étaient pas
encore guéries ; la Gaule se trouvait inondée d’un déluge de Barbares, et les
Sarmates ne respectaient plus la barrière du Danube. Les sauvages isauriens,
dont on avait laissé les ravages impunis, augmentaient de nombre et d’audace.
Ces brigands descendaient de leurs montagnes escarpées, pour ravager les
contrées adjacentes ; ils avaient eu l’insolence d’assiéger, mais sans succès,
l’importante ville de Séleucie défendue par trois légions. D’un autre côté, le
roi de Perse donnait en même temps dés inquiétudes plus sérieuses ; enorgueilli
par ses victoires, il menaçait de nouveau les provinces de l’Asie, et la
présence de l’empereur devenait également indispensable sur les frontières
orientales et sur les confins de l’Occident. Pour la première fois Constance
reconnut sincèrement que des soins si variés et si étendus étaient au-dessus de
ses forces [2106] .
En vain la voix de ses flatteurs voulut se faire entendre et lui persuader que
ses vertus toutes puissantes, sa fortune appuyée de la faveur du ciel,
continueraient à triompher de tout obstacle ; il prêta l’oreille avec
complaisance aux avis d’Eusebia, qui satisfaisaient son indolence sans. blesser
sa vanité. S’apercevant que le souvenir de Gallus donnait des craintes à
l’empereur, cette princesse lui présentait avec adresse les caractères opposés
des deux frètes, qu’on avait comparés dès leur enfance à ceux de Titus et de
Domitien [2107] .
Elle accoutumait son mari à considérer Julien comme un jeune prince modeste et
sans ambition, dont la pourpre assurerait la reconnaissance et la fidélité, et
que ses talents rendraient capable de remplir avec honneur
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