Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
une place au second
rang, où il soulagerait l’empereur d’une infinité de soins, sans jamais
prétendre à secouer l’autorité ou à obscurcir la gloire de son souverain et de
son bienfaiteur. Après de longs et secrets efforts, l’ascendant de
l’impératrice l’emporta sur l’opposition des eunuques favoris, et il fut résolu
que Julien irait, avec le titre de César, gouverner les peuples au-delà des
Alpes, dès qu’on aurait célébré son mariage avec la princesse Hélène, sœur de
Constance [2108] .
Quoique l’ordre qui le rappelait à la cour fut sans doute
accompagné de quelque avertissement sur sa prochaine grandeur, Julien prit le
peuple d’Athènes pour témoin de sa douleur sincère et des larmes qu’il répandit
quand on l’arracha, malgré lui, de sa retraite chérie [2109] . Il craignait
pour sa vie, pour sa gloire, et même pour sa vertu. Toute sa confiance était,
dans la persuasion que Minerve dirigeait sans cesse sa conduite, et qu’il était
sous la protection immédiate d’une légion d’anges invisibles, que cette déesse
avait empruntée pour lui au soleil et à la lune. Il n’approcha qu’avec horreur
du palais de Milan ; jeune et sincère, il ne put cacher son indignation quand
il reçut les respects perfides et serviles des assassins de sa famille. Eusebia
était enchantée d’avoir réussi dans ses bienveillants projets. L’embrassant
avec la tendresse d’une sœur, elle tâcha, par les caresses les plus flatteuses,
de bannir ses craintes et de le réconcilier avec sa fortune. Mais la cérémonie
de lui raser sa longue barbe, et son maintien emprunté quand il fallut troquer
le manteau d’un philosophe grec pour l’habit militaire d’un prince romain,
amusèrent pendant quelques jours la légèreté de la cour impériale [2110] .
Les empereurs du siècle de Constantin ne daignaient plus
consulter le sénat sur le choix d’un collègue ; mais ils avaient soin de faire
ratifier leur nomination par le consentement de l’armée. Dans cette occasion
solennelle les gardes et toutes les troupes qui étaient aux environs de Milan
parurent sous les armes ; Constance monta sur son tribunal, tenant par la main
son cousin Julien, qui accomplissait ce jour-là sa vingt-cinquième année [2111] . Dans un discours
préparé, dont le style noble était soutenu par la dignité du débit, l’empereur
représenta les différents dangers qui menaçaient la prospérité de la
république, la nécessité de nommer un César pour gouverner et défendre
l’Occident, et son intention de récompenser par la pourpre, s’ils y
consentaient, les vertus qu’annonçait le neveu de Constantin. Les soldats
témoignèrent leur approbation par un murmure respectueux : ils contemplèrent
l’air mâle de Julien, et ils virent avec plaisir le feu de ses yeux tempéré par
la modeste rougeur qui s’élevait sur son front, offert pour la première fois
aux regards du monde. Dès que la cérémonie de son investiture fut terminée,
Constance, s’adressant à lui du ton d’autorité que son âge et son rang lui
permettaient de prendre, exhorta le nouveau César à mériter, par des exploits
héroïques, ce nom immortel et sacré, et lui donna les plus fortes assurances
d’une amitié, à laquelle ni le temps ni l’éloignement ne porteraient jamais
atteinte. Après ce discours, les soldats frappèrent de leurs boucliers sur
leurs genoux en signe d’applaudissements [2112] ,
et les officiers qui entouraient le tribunal exprimèrent avec une décence
retenue leur estime pour le représentant de Constance.
Les deux princes retournèrent au palais dans le même char,
et pendant la marche lente de ce cortége, Julien se répétait à lui-même un vers
d’Homère, son poète favori, qui pouvait également s’appliquer à ses craintes et
à sa fortune [2113] .
Les vingt-quatre jours qu’il passa dans le palais de Milan après son investiture,
et les premiers mois de son règne dans les Gaules, ne furent autre chose qu’une
pompeuse mais sévère captivité. Les honneurs qu’il avait acquis ne
compensaient pas la perte de sa liberté [2114] .
On surveillait ses pas, on interceptait sa correspondance, et il était obligé,
par prudence, de refuser la visite de ses plus intimes amis. On ne lui laissa
que quatre de ses anciens domestiques, deux pages, son médecin et son
bibliothécaire ; ce dernier était le gardien d’une précieuse collection de
livres reçus en présent de
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