Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
l’impératrice ; aussi attentive à satisfaire les
inclinaisons de son ami, qu’à défendre ses intérêts. Au lieu de ses fidèles
serviteurs, sa maison fut composée convenablement à sa dignité de César, mais
remplie d’une foule d’esclaves dénués et peut-être incapables d’attachement
pour leur nouveau maître, auquel ils étaient, pour la plupart, ou inconnus ou
suspects. Son défaut d’expérience pouvait exiger un conseil d’hommes sages et
intelligents ; mais l’étiquette minutieuse qui réglait le service de sa table
et la distribution de ses heures convenait plus à un adolescent encore sous la
discipline de ses instituteurs, qu’à un prince auquel on confiait la conduite
d’une guerre importante. Aspirait-il à mériter l’estime des peuples, il était arrêté
par la crainte de déplaire au souverain. Les fruits de son mariage périrent par
les jaloux artifices d’Eusebia [2115] elle-même, qui, en cette seule occasion, parût oublier la sensibilité de son
sexe et sa générosité naturelle. Le souvenir de son père et de ses frères
avertissait Julien de son propre danger, et ses craintes étaient encore
augmentées par l’injuste et récente condamnation de Sylvanus. Pendant l’été qui
avait précédé l’élévation de Julien, le général Sylvanus avait été choisi pour
délivrer les Gaules de l’oppression des Barbares : il eût bientôt lieu de
s’apercevoir que ses plus dangereux ennemis étaient restés à la cour impériale.
Un délateur adroitement perfide, soutenu par plusieurs des principaux
ministres, ayant obtenu de lui quelques lettres de recommandation, en effaça
tout, excepté la signature, et remplit à son gré le parchemin des preuves d’un
complot criminel de la plus haute importance. L’adresse et le courage des amis
du général firent bientôt découvrir la fraude. Un conseil composé d’officiers
civils et militaires reconnut publiquement l’innocence de Sylvanus, en présence
de l’empereur. Mais la découverte arriva trop tard ; le bruit de la calomnie et
la saisie de ses biens avaient déjà excité ce chef indigné à la révolte dont on
l’avait si injustement accusé. Sylvanus prit la pourpre à Cologne, où était son
quartier général. Son activité semblait menacer d’envahir l’Italie et
d’assiéger Milan. Dans cette circonstance, Ursicinus, général du même rang
regagna par une trahison la faveur qu’il avait perdue par d’éminents services
rendus dans l’Orient. Feignant avec toute vraisemblance l’indignation que
pouvaient lui inspirer des injures du genre de celle qu’on avait faite à
Sylvanus, il se hâta de le joindre avec quelques cavaliers, et de trahir son
crédule ami. Après un règne de vingt-huit jours, Sylvanus fut assassiné, et les
soldats qui, sans aucune intention criminelle, avaient suivi aveuglément
l’exemple de leur général, rentrèrent aussitôt dans l’obéissance [2116] . Les flatteurs
de Constance célébrèrent la sagesse et le bonheur du prince, qui venait
d’éteindre une guerre civile sans courir le hasard d’une bataille.
La défense des frontières rhétiennes et la persécution de la
foi catholique retinrent Constance en Italie plus de dix-huit mois après le
départ de Julien. Avant de retourner dans l’Orient, l’empereur satisfit son
orgueil et sa curiosité en visitant l’ancienne capitale [2117] . Il alla de
Milan à Rome par les voies Émilienne et Flaminienne ; et quand il en fut à
quarante milles, ce prince, qui n’avait jamais vaincu un ennemi étranger, imita
la pompe et tous les attributs d’une marche triomphale ; son brillant cortège
était composé de tous les ministres de son luxe ; mais, quoi qu’en pleine paix,
il était environné de nombreux escadrons de ses gardes et de ses cuirassiers.
Leurs étendards de soie embossés d’or et taillés en forme de dragons,
flattaient autour de l’empereur. Constance était assis seul dans un char très
élevé, incrusté d’or et de pierres précieuses. Excepté lorsqu’il baissait la
tête pour passer sous la porte des, villes, il affectait dans son grave
maintien une roideur inflexible qui même lui donnait, ainsi dire, l’apparence
d’une insensibilité totale. Les eunuques avaient introduit dans le palais
impérial la sévère discipline de la jeunesse persane, et l’empereur s’était si
bien conformé aux habitudes de patience, qui en résultent, que, pendant une
marche lente, par une chaleur
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