Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
conservation de vains privilèges, ou pour les misérables
intérêts d’une vie transitoire. Fidèles, à la doctrine, de l’apôtre qui
prêchait, pendant le règne de Néron, une soumission aveugle, les chrétiens des
trois premiers siècles ne souillèrent la pureté de leur conscience, ni par des
révoltes, ni par des conspirations, et ils souffrirent les plus cruelles
persécutions sans essayer de s’en défendre en prenant les armes contre leurs
tyrans, ou de les éviter en fuyant clans quelque coin reculé du globe [2189] . On a fait une
comparaison odieuse de la conduite opposée à celle des premiers chrétiens
qu’ont tenus les protestants [2190] de la France, de l’Allemagne et de l’Angleterre, quand ils ont défendu avec
intrépidité leur liberté civile et religieuse. Peut-être au lieu de reproches,
devrait-on quelques louanges à la supériorité d’esprit et de courage de nos
ancêtres, pour avoir senti les premiers, que la religion ne peut pas anéantir
les droits inaliénables de la nature humaine [2191] . Peut-être
faudrait-il attribuer la patience de la primitive Église autant à sa faiblesse
qu’à sa vertu. Une secte composée de plébéiens timides sans chefs, sans armés
et sans places fortes, aurait été inévitablement détruite, s’ils avaient
hasardé une imprudente et inutile résistance contre le maître des légions romaines
; mais les chrétiens, soit qu’ils cherchassent à calmer la colère de Dioclétien
ou à obtenir la faveur de Constantin pouvaient avancer, avec la confiance que
donne la vérité qu’ils regardaient l’obéissance passive comme un devoir, et que
pendant trois siècles leur conduite avait été conforme à leurs principes. Ils
pouvaient ajouter que le trône des Césars deviendrait inébranlable, si tous
leurs sujets, en recevant la foi chrétienne, apprenaient à souffrir ainsi qu’à
obéir.
Dans l’ordre habituel de la Providence, les princes et les
tyrans sont considérés comme les ministres du ciel, chargés par lui de conduire
ou de châtier les nations ; mais l’histoire sacrée prouve, par un grand nombre
d’exemples fameux, que la Divinité a souvent interposé son autorité d’une
maniéré plus immédiate, en faveur de son peuple chéri. Elle a remis le sceptre
et l’épée dans les mains de Moïse, de Josué, de Gédéon, de David et des
Macchabées ; les vertus de ces héros furent ou le motif ou l’effet de la faveur
divine. Leurs victoires avaient pour objet d’accomplir la délivrance ou le
triomphe de l’Église. Si les juges d’Israël étaient des magistrats passagers,
les rois de Juda tiraient de l’onction royale de leur grand aïeul. un droit
héréditaire et indélébile, qui ne pouvait être effacé ni par leurs propres
vices ni par le caprice de leurs sujets. Cette même Providence extraordinaire,
qui n’était plus circonscrite dans les limites étroites de la Judée, pouvait
choisir Constantin et sa famille pour les protecteurs du monde chrétien, et le
dévot Lactance annonce d’un ton prophétique la gloire future, la longueur et
l’universalité de son règne [2192] .
Galère et Maximin, Licinius et Maxence, partagèrent avec le favori du ciel les
provinces de l’empire ; la mort tragique de Galère et de Maximin satisfit
bientôt le ressentiment des chrétiens, et remplit leurs plus confiantes
espérances. Les succès de Constantin contre Licinius et Maxence le
débarrassèrent de deux puissants compétiteurs, qui retardaient le triomphe du
second David ; et sa cause semblait avoir droit aux secours particuliers de la
Providence. Les vices du tyran des Romains dégradaient la pourpre et la nature
humaine ; quoique les chrétiens semblassent obtenir momentanément sa faveur,
ils n’en étaient pas moins exposés, comme le reste de ses sujets, aux effets
de son extravagante et capricieuse cruauté. La conduite de Licinius découvrit
promptement la répugnance avec laquelle il avait adopté les sages et pacifiques
dispositions de l’édit de Milan. Il défendit, dans ses États, la convocation
des synodes provinciaux ; il renvoya ignominieusement tous ceux de ses
officiers qui professaient la foi chrétienne, et quoiqu’il évita le crime ou
plutôt le danger d’une persécution générale, ses vexations partielles n’en
étaient pas moins une odieuse infraction d’un engagement solennel et volontaire [2193] . Tandis que
l’Orient, selon l’énergique expression d’Eusèbe, était
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