Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
dévotion de Constantin ;
qui, par des gradations prudentes, reconnut la vérité et adopta les symboles de
la foi chrétienne. Mais le témoignage d’un auteur contemporain donne à la piété
de cet empereur un motif plus sublime et plus imposant. Dans un traité destiné
à défendre la cause de la religion, il affirmé, avec la plus parfaite
confiance, que, dans la nuit qui précéda la dernière bataille contre Maxence,
Constantin reçut dans un songe l’ordre de peindre le signe céleste de Dieu, le
sacré monogramme du Christ, sur le bouclier de ses soldats, et que sa pieuse
obéissance aux commandement du ciel fut récompensée par la victoire décisive
qui couronna sa valeur sur le pont Milvius. Quelques réflexions pourraient
faire soupçonner de manque de discernement ou de véracité un rhéteur dont la
plume s’était dévouée, par zèle ou par intérêt, au service de la faction
dominante [2209] .
Il paraît qu’il a publié à Nicomédie son ouvrage sur la mort des persécuteurs
de l’Église, environ trois ans après la victoire de Constantin. Mais la
distance de plus de mille milles et l’intervalle de trois ans ont laissé une
ample latitude, aux inventions d’une foule de déclamateurs, avidement revues
par une crédulité partiale, et approuvées tacitement par l’empereur, qui
pouvait écouter sans indignation un conte dont le merveilleux ajoutait à sa
gloire et servait ses desseins. Le même auteur a eu soin de se pourvoir d’une
vision du même genre en faveur de Licinius, qui dissimulait encore son
animosité contre les chrétiens. Un ange lui présenta une formule de prière qui
fut répétée par toute l’armée avant d’engager le combat contre Maximin. La
fréquente répétition des miracles irrite l’esprit quand elle ne subjugue pas la
raison [2210] ; mais si l’on considère séparément le songe de Constantin, on peut l’expliquer
naturellement par sa politique ou par son enthousiasme. A la veille d’un jour
qui devait décider du déclin de l’empire, si sa vive inquiétude fut suspendue
par quelques instants d’un sommeil agité, il n’est pas étonnant que la forme
vénérable du Christ et les symboles connus de sa religion, se soient présentés
à l’imagination tourmentée d’un prince qui révérait le nom et implorait
peut-être en secret le secours du Dieu des chrétiens. Un politique habile
pouvait également se servir d’un stratagème militaire, d’une de ces fraudes
pieuses que Philippe et Sertorius avaient employées avec adresse et succès [2211] . Toutes les
nations de l’antiquité admettaient l’origine surnaturelle des songes, et une
grande partie de l’armée gauloise était déjà disposée à placer sa confiance
dans le signe salutaire de la religion chrétienne. L’événement pouvait seul
contredire la vision secrète de Constantin ; et le héros intrépide qui avait
passé les Alpes et les Apennins était capable de considérer, avec
l’indifférence du désespoir, les suites d’une défaite sous les murs de Rome. La
plus vive allégresse s’empara du peuple et du sénat. Ils se félicitaient
étalement d’avoir échappé à un tyran détesté ; mais, en avouant que la
victoire de Constantin surpassait le pouvoir des mortels, ils n’osèrent pas
insinuer que l’empereur en était redevable au secours des dieux. L’arc
triomphal qui fût élevé environ trois après, annonce, en termes obscurs que
Constantin avait sauvé et vengé Rome par la grandeur de son propre courage et
par une sécrète impulsion de la Divinité [2212] .
L’orateur païen qui avait saisi le premier l’occasion de célébrer les hautes
vertus du conquérant, suppose que l’empereur était admis seul à un commerce
intime et familier avec l’Être suprême, qui confiait le reste des humains au
soin des divinités inférieures. Il donne, par ce moyen, aux sujets, un motif
plausible pour se défendre respectueusement d’embrasser la nouvelle religion [2213] .
3° Le philosophe, qui examine avec un doute tranquille les
songes et les présages, les miracles et les prodiges de l’histoire profane, et
même ceux de l’histoire ecclésiastique, conclura probablement que, si la fraude
a quelquefois trompé les yeux des spectateurs, le bon sens des lecteurs été
bien plus souvent insulté par les fictions des écrivains qui ont attribué
inconsidérément à l’action immédiate de la Divinité tous les événements ou les
accidents qui semblaient
Weitere Kostenlose Bücher