Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
s’accorder le dangereux privilège de soutenir
la cause de la vérité par la ruse et le mensonge. L’intérêt personnel est
souvent la règle de notre croyance aussi bien que celle de nos actions ; et les
motifs d’avantages temporels qui déterminaient Constantin dans sa conduite
publique, pouvaient disposer insensiblement son esprit à embrasser une religion
favorable à sa gloire et à sa fortune. Il aimait à se croire envoyé du ciel
pour régner sur la terre ; cette idée flattait sa vanité ; ce droit divin en
vertu duquel il s’était prétendu appelé au trône, avait été justifié par la
victoire, et ses titres étaient fondés sur la vérité de la révélation
chrétienne. On voit souvent des applaudissements peu mérités faire naître une
vertu réelle ; ainsi la piété apparente de Constantin, en supposant qu’elle ne
fût, d’abord qu’apparente, peut insensiblement, par l’influence des louanges,
de l’habitude et de l’exemple, avoir acquis la consistance d’une dévotion
fervente et sincère. Les évêques et les prédicateurs de la secte nouvelle, dont
les mœurs et le costume semblaient peu propres à l’ornement d’une cour, étaient
admis à la table de l’empereur. Ils l’accompagnaient dans ses expéditions ; et
les païens attribuaient à la magie l’ascendant que l’un d’entre eux, Égyptien [2224] ou Espagnol,
acquit sur l’esprit de Constantin [2225] .
Ce prince vivait clans la familiarité la plus intime avec Lactance, qui avait
orné de toute l’éloquence de Cicéron les préceptes de l’Évangile [2226] , et avec
Eusèbe, qui a consacré l’érudition et la philosophie des Grecs au service de la
religion [2227] .
Ces habiles maîtres de controverse se trouvaient, ainsi à portée d’épier avec
patience le moment où l’esprit, favorablement disposé, cède facilement à la
persuasion, et d’employer alors les arguments les mieux appropriés à son
caractère et les plus proportionnés à son intelligence. Quelque avantageuse
qu’ait pu devenir à la foi l’acquisition d’un pareil prosélyte, Constantin se
distinguait par la pompe, beaucoup plus que par le discernement et la vertu,
des milliers de ses sujets qui avaient embrassé la doctrine chrétienne ; et, il
n’est point du tout incroyable qu’un soldat ignorant ait adopté une opinion
fondée sur les preuves qui, dans siècle plus éclairé, ont satisfait ou subjugué
la raison d’un Grotius, d’un Locke et d’un Pascal. Occupé tout le jour du soin
de son empire, Constantin employait ou affectait d’employer une partie de la
nuit à lire les saintes Écritures et à composer des discours théologiques,
qu’il prononçait ensuite devant des assemblées nombreuses, dont l’approbation
et les applaudissements étaient toujours unanimes. Dans un très long discours,
qui existe encore, l’auguste prédicateur s’étend sur les différentes preuves de
la sainte religion ; mais il appuie avec une complaisance particulière sur les
vers de la Sibylle [2228] et sur le quatrième églogue de Virgile [2229] .
Quarante ans avant la naissance de Jésus-Christ, le chantre de Mantoue, comme
s’il eût été inspiré par la muse céleste d’Isaïe, avait célébré, avec toute la
pompe de la métaphore orientale le retour de la Vierge, la chute du serpent, la
naissance prochaine d’un enfant divin, né du grand Jupiter, qui effacerait les
crimes des mortels, et gouvernerait en paix l’univers avec des vertus égales à
celles de son père. Il avait annoncé l’élévation et la manifestation d’une race
céleste, nation primitive répandue dans le monde entier, et le rappel de
l’innocence et des félicités de l’âge d’or. Le poète ignorait peut- être le
sens mystérieux et l’objet de ses sublimes prédictions, qu’on a ignoblement
appliquées au fils nouvellement né d’un consul ou d’un triumvir [2230] . Mais si cette
interprétation plus brillante et vraiment spécieuse de la quatrième églogue a
contribué à la conversion de Constantin, Virgile mérite d’obtenir un rang
distingué parmi les plus habiles missionnaires de l’Évangile [2231] .
On cachait aux étrangers, et même aux catéchumènes, les
mystères imposants du culte et de la foi des chrétiens, avec un soin affecté
qui excitait leur étonnement et leur curiosité [2232] . Mais les
règles de discipline sévère, introduites par la prudence des évêques, furent
relâchées par la même prudence en faveur
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