Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
juridictions ecclésiastiques et civiles, embarrassait les opérations
du gouvernement romain ; et la piété de l’empereur s’effrayait à l’idée
criminelle et dangereuse de porter une main profane sur l’arche d’alliance. La
distinction des laïques et du clergé avait eu lieu, à la vérité, chez beaucoup
de nations anciennes. Les prêtres des Indes, de la Perse, de l’Assyrie, de la
Judée, de l’Éthiopie, de l’Égypte et de la Gaule, prétendaient tous tirer d’une
origine céleste leur puissance et leurs possessions temporelles ; et ces
respectables institutions s’étaient insensiblement adaptées aux mœurs et au
gouvernement de ces différents peuples [2254] .
Mais la discipline de la primitive Église était fondée sur une résistance
dédaigneuse à l’autorité civile. Les chrétiens avaient été obligés d’élire
leurs propres magistrats, de lever et de distribuer un revenu particulier, et
de faire, pour régler la police intérieure de leur république, un code de lois
ratifié par le consentement du peuple et par une pratique de trois cents ans.
Lorsque Constantin embrassa la foi des chrétiens, il sembla contracter une
alliance perpétuelle avec une société indépendante et les privilèges accordés
ou confirmés par cet empereur et par ses successeurs, furent acceptés non pas
comme des grâces précaires de la cour, mais comme les droits justes et
inaliénables de l’ordre ecclésiastique.
L’Église catholique était gouvernée par la juridiction
spirituelle et légale de dix-huit cents évêques [2255] , dont mille
étaient répandus dans les provinces grecques, et huit cents dans les provinces
latines de l’empire. L’étendue et les bornes de leurs différents diocèses
dépendirent d’abord du succès des missionnaires, et variaient relativement à
ces succès, au zèle des peuples et à la propagation de l’Évangile. Les églises
épiscopales étaient places très proche les unes des autres, sur les rives du
Nil, sur les côtes de l’Afrique, dans le proconsulat de l’Asie, et dans toutes
les provinces orientales de l’Italie. Les évêques de la Gaule et de l’Espagne,
de la Thrace et du Pont, gouvernaient un vaste territoire, et envoyaient leurs
suffragants dans les campagnes pour remplir les fonctions subordonnées du
devoir pastoral [2256] .
Un diocèse chrétien pouvait comprendre toute une province, ou être réduit à un
village ; mais tous les évêques avaient un rang égal et un caractère
indélébile. Ils étaient tous censés successeurs des apôtres ; le peuple et
les lois leur accordaient à tous les mêmes privilèges. Tandis que Constantin
séparait par politique les professions civile et militaire, un ordre perpétuel
de ministres ecclésiastiques, toujours respectable et souvent dangereux
s’établissait dans l’Église et dans l’État. L’important tableau de sa situation
et de ses attributions peut se diviser de la manière suivante : 1° élection
populaire ; 2° ordination du clergé ; 3° propriétés ; 4° juridiction civile ;
5° censures spirituelles ; 6° prédication publique ; 7° privilège d’assemblées
législatives.
1° La liberté des élections [2257] subsista
longtemps après l’établissement légal de la foi chrétienne [2258] , et les sujets
de Rome jouissaient dans l’Église du privilège qu’ils avaient perdu dans la
république, de choisir les magistrats auxquels ils s’engageaient d’obéir.
Aussitôt après la mort d’un évêque, le métropolitain donnait à un de ses
suffragants la commission d’administrer le diocèse vacant, et de préparer, dans
un temps limité, la future élection. Le droit de suffrage appartenait au clergé
inférieur, qui était à portée de reconnaître le mérite des candidats, aux
sénateurs ou nobles de la ville, à tous ceux qui avaient un rang ou une
propriété, et enfin à tout le corps du peuple, qui accourait en foulé au jour
de la cérémonie, de l’extrémité du diocèse [2259] ,
et imposait quelquefois silence par des tumultueuses acclamations, à la voix de
la raison et aux lois de la discipline. Il pouvait bien fixer par hasard son
choix sur le plus digne des concurrents, sur un ancien curé, sur quelque saint
religieux, ou sur un prêtre séculier, recommandable par son zèle et sa piété.
Mais, en général, surtout dans les grandes et opulentes villes de l’empire, la
chaire épiscopale était moins recherchée comme une charge spirituelle que
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