Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Tibre. Les légions étaient destinées à servir contre l’ennemi de l’État, et
le magistrat civil avait rarement recours à la force militaire [171] . Dans ces jours
de tranquillité et de sécurité générale, le prince et ses sujets employaient
leur loisir et leurs richesses à l’embellissement et à la grandeur de l’empire.
Parmi les nombreux monuments d’architecture que construisirent
les Romains, combien ont échappé aux recherches de l’histoire, et qu’il en est
peu qui aient résisté aux ravages des temps et de la barbarie ! Et
cependant les ruines majestueuses éparses dans l’Italie et dans les provinces,
prouvent assez que ces contrées ont été le siége d’un illustre et puissant
empire. La grandeur et la beauté de ces superbes débris mériteraient seuls
toute notre attention ; mais deux circonstances les rendent encore plus
dignes d’attirer nos regards. La plupart de ces magnifiques ouvrages avaient
été élevés par des particuliers, et tous étaient consacrés à l’utilité
publique : considération importante, qui unit l’histoire agréable des arts
à l’histoire bien plus instructive des mœurs et de l’esprit humain.
Il est naturel d’imaginer que le plus grand nombre et les
plus considérables des édifices romains ont été bâtis par les empereurs, qui
pouvaient disposer de tant de bras et de trésors si immenses. Auguste avait
coutume de répéter avec orgueil : J’ai trouvé ma capitale en briques, et
je la laisse en marbre à mes successeurs [172] .
La sévère économie de Vespasien fut la source de sa magnificence. Les ouvrages
de Trajan portent l’empreinte de son génie. Les monuments publics dont Adrien
orna toutes les provinces de l’empire furent exécutés, non seulement par ses
ordres, mais encore sous son inspection immédiate. Ce prince était lui-même
artiste, et il aimait surtout les arts comme faisant la gloire d’un monarque.
Les Antonins les encouragèrent, parce qu’ils les crurent propres à contribuer au
bonheur de leurs sujets. Mais si les souverains donnèrent l’exemple, ils furent
bientôt imités. Les principaux citoyens ne craignirent pas de montrer qu’ils
avaient assez de hardiesse pour former les plus grands desseins, et assez de
richesses pour les exécuter. Rome se vantait à peine de son magnifique Colisée,
que les villes de Capoue et de Vérone [173] avaient fait élevé, à leurs dépens, des édifices moins vastes à la vérité, mais
construits sur les mêmes plans et avec les mêmes matériaux. L’inscription trouvée
à Alcantara, prouve que ce pont merveilleux avait été jeté sur le Tage aux
frais de quelques communes de la Lusitanie. Lorsque Pline fut nommé gouverneur
de la Bithynie et du Pont, provinces qui n’étaient ni les plus riches ni les
plus considérables de l’empire, il trouva les villes de son département
s’efforçant à l’envi d’élever des monuments utiles et magnifiques, qui pussent
attirer la curiosité des étrangers, et mériter la reconnaissance des citoyens.
Il était du devoir d’un proconsul de suppléer à ce qui pouvait leur manquer de
moyens, de diriger leur goût, quelquefois même de modérer leur émulation [174] . A Rome, et dans
toutes les contrées de l’empire, les sénateurs opulents croyaient devoir
contribuer à la splendeur de leur siècle et de leur patrie. Souvent l’influence
de la mode suppléait au manque de goût ou de générosité. Entre cette foule de
particuliers qui se signalèrent par des monuments publics, nous distinguerons
Hérode-Atticus, citoyen d’Athènes, qui vivait dans le siècle des Antonins. Quelque
put être le motif de sa conduite, sa magnificence était digne des plus grands
monarques.
Lorsque la famille d’Hérode se trouva dans l’opulence, elle
compta parmi ses ancêtres Cimon et Miltiade, Thésée et Cécrops, Éaque et
Jupiter. Mais la postérité de tant de dieux et de héros était bien déchue de
son antique grandeur. L’aïeul d’Hérode avait été livré entre les mains de la
justice, et Julius-Atticus son père aurait fini ses jours dans la pauvreté et
le mépris s’il n’eût pas découvert un trésor immense dans une vieille maison,
seul resté de son patrimoine. Selon la loi, une partie de ces richesses
appartenait à l’empereur : Atticus prévint prudemment, par un libre aveu, le
zèle des délateurs. Le trône était alors occupé par l’équitable Nerva, qui ne
voulut rien accepter, et fit
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