Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
répondre à Atticus qu’il pouvait jouir sans
scrupule du présent que lui avait fait la fortune. L’Athénien poussa plus loin
la circonspection : il représenta que le trésor était trop considérable pour un
sujet, et qu’il ne savait comment en user. Abuses-en donc, car il
t’appartient [175] ,
répliqua l’empereur, avec un mouvement d’impatience gui marquait la bonté de
son naturel. Atticus pourra passer dans l’esprit de bien des gens pour avoir
obéi littéralement à ce dernier ordre de l’empereur ; car sa fortune
s’étant trouvée bientôt après augmentée par un mariage avantageux, il en
consacra la plus grande partie à l’utilité publique. Il avait obtenu pour son
fils Hérode la préfecture des villes libres de l’Asie. Le jeune magistrat, voyant
que celle de Troade était mal fournie d’eau, reçut d’Adrien, pour la
construction d’un nouvel aqueduc, trois cents myriades de drachmes (environ
cent mille livres sterling ). Mais l’exécution de l’ouvrage monta à plus du
double de l’évaluation ; et des officiers publics commençaient à murmurer
lorsque le généreux Atticus mit fin à leurs plaintes, en leur demandant la
permission de prendre sur lui le surplus de la dépense [176] .
Attirés par de grandes récompenses, les maîtres les plus
habiles de la Grèce et de l’Asie avaient présidé à l’éducation du jeune Hérode.
Leur élève devint bientôt un célèbre orateur, du moins selon la vaine
rhétorique de ce siècle, où l’éloquence, renfermée dans l’école, dédaignait de
se montrer au sénat ou au barreau. Il reçut à Rome les honneurs du consulat,
mais il passa la plus grande partie de sa vie à Athènes, ou dans différents
palais situés aux environs de cette ville : c’était là qu’il se livrait à
l’étude de la philosophe, au milieu d’une foule de sophistes qui
reconnaissaient sans peine la supériorité d’un rival riche et généreux [177] . Les monuments
de son génie ont disparu ; quelques vestiges servent encore à faire connaître
son goût et sa magnificence. Des voyageurs modernes ont mesuré les ruines du
stade qu’il avait fait bâtir à Athènes ; sa longueur était de six cents
pieds : il était entièrement de marbre blanc, et il pouvait contenir tout le
peuple. Ce bel ouvrage fit achevé en quatre ans, lorsque Hérode était président
des jeux athéniens. Il dédia à la mémoire de sa femme Regilla, un théâtre qui
pouvait difficilement trouver son égal dans tout l’empiré : on n’avait
employé à cet édifice que du cèdre, chargé des plus précieuses sculptures.
L’Odéon, destiné par Périclès donner des concerts publics, et à la répétition
des tragédies nouvelles, était un trophée de la victoire remportée par les arts
sur la grandeur asiatique ; des mâts de vaisseaux perses en composaient
presque toute la charpente. Ce monument avait été déjà réparé par un roi de
Cappadoce ; mais il était encore sur le point de tomber en ruines. Hérode
lui rendit sa beauté et sa magnificence [178] .
La générosité de cet illustre citoyen n’était pas renfermée dans les murs
d’Athènes ; un théâtre à Corinthe, les plus riches ornements du temple de
Neptune dans l’isthme, un stade à Delphes, des bains aux Thermopyles, et un
aqueduc à Canusium en Italie, ne purent épuiser ses vastes trésors. L’Épire, la
Thessalie, l’Eubée, la Béotie et le Péloponnèse, partagèrent ses bienfaits [179] ; et la
reconnaissance des villes de l’Asie et de la Grèce a donné à Hérode-Atticus,
dans plusieurs inscriptions, le titre de leur patron et de leur bienfaiteur.
Dans les républiques d’Athènes et de Rome, la modestie et la
simplicité des maisons particulières annonçaient l’égalité des conditions,
tandis que la souveraineté du peuple brillait avec éclat dans la majesté des
édifices publics [180] .
L’introduction des richesses et l’établissement de la monarchie n’éteignirent
pas tout à fait cet esprit républicain. Ce fût dans les ouvrages destinés à la
gloire et à l’utilité de la nation, que les plus vertueux empereurs déployèrent
leur magnificence. Le palais d’or de Néron avait excité à juste titre
l’indignation ; mais cette vaste étendue de terrain envahie par un luxe
effréné, servit bientôt à de plus nobles usages. On y admira, sous les règnes
suivants, le Colisée, les bains de Titus, le portique de Claudien, et les
temples
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