Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
lui-même, qui motive sagement sa
modération sur ce qu’il croit devoir accorder à l’empire invincible de
l’habitude, des préjugés et de la superstition [2470] . Sans violer sa
promesse, sans alarmer les païens, le monarque adroit minait lentement et avec
précaution le bizarre et ruineux édifice du polythéisme ; quoique son zèle pour
la foi chrétienne fût sans doute le motif secret de la sévérité qu’il exerçait
dans des occasions particulières, il avait soin de la colorer d’un prétexte
plausible de justice et d’utilité publique ; et il attaquait secrètement les
fondements de l’ancienne religion sous le prétexte d’en réformer les abus. A
l’exemple de ses plus sages prédécesseurs, il condamna à des peines rigoureuses
l’art impie de la divination, qui donnait des espérances illusoires et
encourageait quelquefois les entreprises criminelles d’hommes inquiets ou mécontents
de leur état. Il condamna à un silence ignominieux les oracles, dont on avait
reconnu publiquement la fraude et la fausseté, et supprima les prêtres
effémines du Nil. Constantin remplit les devoirs d’un censeur romain, quand il
fit démolir les temples de Phénicie, dans lesquels on pratiquait dévotement, en
plein jour, toutes les espèces de prostitution en l’honneur de Vénus [2471] . La ville
impériale de Constantinople s’éleva, en quelque façon, aux dépens des temples
de la Grèce et de l’Asie, et s’embellit de leurs riches dépouillés : on
confisqua leurs possessions, et des mains irrévérentes et grossières
transportèrent les statues des dieux et des héros chez un peuple auquel,
déchues des honneurs du culte, elles n’offrirent plus que des objets de curiosité.
L’or et l’argent rentrèrent dans la circulation ; et les magistrats, les
évêques, et les eunuques, saisirent l’heureuse occasion de satisfaire à la fois
leur zèle, leur avarice et leur vengeance. Mais ces déprédations n’attaquaient
qu’une très petite partie du mondé romain, et les provinces étaient accoutumées
depuis longtemps à supporter ces rapines sacrilèges de la part des princes et
des proconsuls, auxquels on ne pouvait soupçonner le dessein de détruire la
religion qu’ils professaient [2472] .
Les fils de Constantin suivirent, avec plus de zèle et moins
de discrétion les traces de leur père et multiplièrent les prétextes de
vexation, et de rapine [2473] .
Dans leurs procédés les plus illégaux, les chrétiens étaient toujours sûrs de
l’indulgence ; le moindre doute servait de preuve contre les païens ; et l’on
célébra la démolition de leurs temples comme un des événements les plus heureux
du règne de Constance et de Constans [2474] .
Nous trouvons le nom de Constance à la tête d’une loi concise qui semblait
devoir rendre superflue toute défense subséquente. Nous ordonnons
expressément que dans toutes les villes et lieux de notre empire tous les
temples soient immédiatement fermés et gardés avec soin ; afin qu’aucun de nos
sujets n’ait l’occasion de s’y rendre coupable nous leur ordonnons également à
tous de s’abstenir de sacrifices ; et si quelqu’un d’eux continuait à en faire
malgré notre défense, nous voulons qu’il périsse par le glaive et que ses biens
soient confisqués au profil du public. Nous condamnons aux mêmes peines les
gouverneurs des provinces qui négligeront de punir les criminels [2475] . Mais nous
avons de fortes raisons pour croire que ce formidable édit n’a point été
publié, ou du moins qu’il n’a pas eu d’exécution. Des faits connus et des
monuments de cuivre et de marbre qui existent encore, prouvent que durant tout
le règne des fils de Constantin la religion païenne eut son culte public. On
laissa subsister un grand nombre de temples dans les villes et dans les
campagnes de l’Orient et de l’Occident ; et la multitude dévote pût encore
jouir de la pompe des sacrifices, des fêtes et des processions, sous la
protection ou par l’indulgence du gouvernement civil. Quatre ans après la date
supposée de ce sanglant édit, Constance visita les temples de Rome ; et un
auteur païen célèbre la conduite décente du souverain dans cette occasion,
comme un exemple digne d’être imité par ses successeurs. Cet empereur ,
dit Symmaque, respecta les privilèges des vestales. Il conféra les dignités
sacerdotales aux nobles de Rome, accorda les sommes ordinaires pour les frais
des fêtes et des
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