Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
[2463] .
Les villages de Numidie et de Mauritanie étaient peuplés d’une race d’hommes
féroces, peu soumis à l’autorité des lois romaines et imparfaitement convertis
à la foi chrétienne, mais enflammés d’un zèle aveugle et d’un enthousiasme
violent pour la cause de leurs prédicateurs donatistes. Ils voyaient avec
indignation leurs évêques exilés, leurs églises démolies et leurs assemblées
interrompues. Les vexations des officiers de justice, soutenues le plus souvent
par une garde militaire, étaient quelquefois repoussées avec violence ; et la
mort de plusieurs ecclésiastiques en possession de la faveur populaire qui
furent massacrés dans des émeutes, enflammait ces féroces prosélytes du désir
de venger leurs martyrs. Les ministres de la persécution succombaient souvent
victimes de leur propre imprudence et de leur cruauté, et le crime d’un tumulte
accidentel précipitait les coupables dans le désespoir et dans la révolte.
Chassés des villages où ils avaient pris naissance, les paysans donatistes
s’assemblèrent en troupes formidables sur les confins des déserts de Gétulie.
Ils abandonnèrent volontiers les travaux d’une vie pénible pour se livrer à
l’oisiveté et au brigandage qu’ils exerçaient au nom de la religion, et que
leurs docteurs condamnaient faiblement. Les chefs des circoncellions prenaient
le titre de capitaines des saints . Peu fournis de lances et d’épées, ils
se servaient ordinairement d’une forte massue qu’ils appelaient une israélite ; et leur cri de guerre bien connu, loué soit Dieu , répandait la
consternation dans toutes les provinces désarmées de l’Afrique. Le manque de
subsistances fut le prétexte de leurs premières déprédations ; mais leurs
dévastations excédèrent bientôt leurs besoins ; et, s’abandonnant à la
débauche et à la cupidité, ils incendièrent les villages après les avoir
pillés, et régnèrent en tyrans sur toute la campagne. L’agriculture et
l’administration de la justice étaient interrompues : comme les circoncellions
prétendaient rétablir l’égalité primitive du genre humain et réformer les abus
de la société civile, ils offraient un asile aux esclaves et aux débiteurs qui
accouraient en foule sous leurs drapeaux sacrés. Lorsqu’on ne leur résistait
pas, ils se contentaient ordinairement de piller ; mais la moindre opposition
était suivie de violences et de meurtres, et ils firent souffrir les tortures
les plus affreuses à quelques prêtres catholiques qui avaient voulu signaler
imprudemment leur zèle. Les circoncellions n’avaient pas toujours affaire à des
ennemis désarmés ; ils attaquèrent souvent et mirent quelquefois en fuite les
troupes militaires de la province. A la sanglante affaire de Bagai, ils
tombèrent avec impétuosité, mais sans succès, au milieu d’une plaine, sur un
détachement de la cavalerie impériale. On traitait en bêtes féroces les
donatistes pris les armes à la main, et ils le méritèrent bientôt par leurs
forfaits ; on les faisait périr par l’épée, par la hache ou par le feu. Ils mouraient
sans pousser un murmure, et leurs sanglantes représailles, en aggravant et
multipliant les horreurs de la révolte, ne laissaient point d’espoir de
réconciliation. Au commencement de notre siècle, on a vu se renouveler les
scènes d’horreur de la guerre des circoncellions, dans la persécution,
l’intrépidité, les crimes et l’enthousiasme des camisards ; et si les
fanatiques du Languedoc surpassèrent ceux de la Numidie en talents militaires,
les Africains soutinrent leur féroce indépendance avec plus de courage et de
fermeté [2464] .
De tels désordres sont les effets naturels de la tyrannie
religieuse ; mais la fureur des donatistes était enflammée par une frénésie
d’une espèce extraordinaire, et dont il n’y a jamais eu d’exemple dans aucun
temps et dans aucun pays ; s’il est vrai qu’ils l’aient poussée au degré
d’extravagance qu’on leur attribue. Une partie de ces fanatiques détestaient la
vie et désiraient vivement de recevoir le martyre. Il leur importait peu par
quel supplice ou par quelles mains ils périssaient, pourvu que leur mort fût
sanctifiée par l’intention de se dévouer à la gloire de la vraie foi, et à
l’espérance d’un bonheur éternel [2465] .
Ils allaient quelquefois insulter les païens au milieu de leurs fêtes et jusque
dans leurs temples, dans l’espérance d’exciter
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