Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Nais on accuse
Julien d’avoir exécuté ce changement salutaire avec trop de précipitation et de
sévérité. Par un seul édit, il fit du palais de Constantinople un vaste désert,
et renvoya ignominieusement les esclaves et les serviteurs [2536] sans exception,
et sans aucun des égards de justice ou du moins (le bienveillance que pouvaient
mériter l’âge, les services ou la pauvreté des fidèles domestiques de la
famille impériale. Tel était à la vérité le caractère de Julien. Il oubliait
souvent la maxime d’Aristote, qui place la véritable vertu à une distance égale
entre les deux vices opposés. La parure fastueuse et efféminée des Asiatiques,
la frisure, le fard, les bracelets et les colliers qui avaient couvert
Constantin de ridicule, étaient indignes sans doute de la philosophie de son
successeur ; mais, en s’éloignant d’une élégance efféminée, Julien semblait
renoncer à se vêtir décemment et s’enorgueillir de sa malpropreté. Dans un
écrit satirique, et destiné au publie, l’empereur appuie avec complaisance, et
même avec un orgueil cynique, sur la longueur de ses ongles et sur l’encre dont
ses mains sont toujours tachées ; il proteste que, quoiqu’il ait presque tout
le corps velu, jamais le rasoir n’a passé que sur sa tête, et il fait avec
satisfaction l’éloge de sa barbe touffue et habitée, qu’il chérit, à
l’imitation des philosophes de la Grèce [2537] .
Si Julien eût suivi les principes du bon sens, le premier magistrat des Romains
aurait également dédaigné l’orgueil de Diogène et la vanité de Darius.
Mais l’ouvrage de la réforme publique serait resté
imparfait, si, en corrigeant les abus du règne précédent, Julien eût négligé
d’en punir les crimes. Nous sommes enfin délivrés, dit ce prince dans une
lettre à un de ses amis familiers, nous sommes miraculeusement délivrés de la
gueule dévorante de l’hydre [2538] .
Ce n’est point mon frère Constance que je prétends désigner par cette épithète.
Il n’est plus ; que la terre repose légèrement sur sa tête ! Mais ses perfides
et barbares favoris passaient leur vie à tromper et à irriter un prince dont il
serait difficile de louer la douceur naturelle sans se rendre coupable
d’adulation. Nyon dessein n’est cependant pas que ceux-là même soient punis
illégalement ; on les accuse, ils jouiront du bienfait d’un jugement équitable
et impartial . Julien nomma, pour faire les informations, six juges d’un
rang distingué dans l’État et dans l’armée ; et, pour éviter le reproche
d’avoir condamné lui-même ses ennemis personnels, il plaça ce tribunal
extraordinaire dans Chalcédoine, sur la rive asiatique du Bosphore, et autorisa
les commissaires à prononcer et à exécuter leurs sentences finales sans appel
et sans délai. Le vénérable préfet d’Orient, un second Salluste, occupa la
place de président [2539] .
Ses vertus lui conciliaient également l’estime des philosophes grecs et celle
des prélats chrétiens ; il avait pour adjoint l’éloquent Mamertin [2540] , un des deux
consuls élus, dont le mérite supérieur nous est connu par le témoignage un peu
suspect qu’il se donne à lui-même. Mais la sage équité des deux magistrats
civils était contrebalancée par la violence féroce des quatre généraux,
Nevitta, Agilo, Jovin et Arbetio. Arbetio, que le public aurait vu avec moins
d’étonnement sur la sellette que sur un tribunal, passait pour avoir le secret
de la commission. Les chefs armés et furieux des bandes Jovienne et Herculienne
environnaient le tribunal, et les juges obéissaient alternativement aux règles
de la justice et aux clameurs d’une faction [2541] .
Le chambellan Eusèbe, qui avait abusé si longtemps de la
faveur de Constance, expia par une mort ignominieuse, l’insolence, la corruption
et les fureurs de son règne servile. Les exécutions de Paul et d’Apodème, dont
le premier fut brûlé vif, passèrent pour une faible réparation aux yeux des
veuves et des orphelins de cette foule de citoyens romains trahis et assassinés
par eux. Mais la justice elle-même, si nous pouvons faire usage de l’expression
pathétique d’Ammien [2542] ,
pleurai sur le sort d’Ursule, trésorier de l’empire ; et sa mort fût une tache
d’ingratitude dans la vie de Julien, que cet intrépide et vertueux ministre
avait libéralement secouru dans ses besoins. La fureur des soldats irrités
d’une démarche
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