Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
sentir le crime et
l’imprudence de leur entreprise, au lieu des tortures et de la mort qu’ils
méritaient et qu’ils attendaient, prononça une- sentence de bannissement contre
les deux principaux coupables. La seule occasion dans laquelle Julien semble
s’être écarté de sa clémence ordinaire, est l’exécution d’un jeune imprudent,
qui, d’une main faible et impuissante, voulut saisir les rênes de l’empire.
Mais ce jeune ambitieux était fils de Marcellus, le général de cavalerie qui,
dans la première campagne contre les Gaulois, avait déserté les drapeaux du
César et le parti des Romains. Julien, sans être soupçonné de vouloir venger
son injure personnelle, pouvait confondre dans un même châtiment le crime du
fils et celui du père. Mais il fut touché de la douleur de Marcellus, et
l’empereur tâcha d’adoucir, par ses libéralités la blessure que le général
avait reçu par la main sévère de la justice [2548] .
Julien n’était point insensible aux avantages de la liberté
publique [2549] .
Il était imbu dans ses études, de l’esprit des sages et des héros : sa fortune
et sa vie avaient dépendu longtemps du caprice d’un tyran ; et quand il monta
sur le trône, son orgueil souffrit souvent, en réfléchissant que des esclaves
qui n’avaient pas blâmer ses défauts, n’étaient pas dignes d’applaudir à ses
vertus [2550] .
Il abhorrait le système de despotisme oriental, que Dioclétien, Constantin et
les patientes habitudes de quatre-vingts années avaient établi dans l’empire.
Un motif de superstition l’empêcha d’exécuter le projet sur lequel il s’était
souvent arrêté, de soustraire sa tête au joug d’un diadème trop chèrement payé [2551] . Mais if refusa
toujours le titre de dominus ou seigneur [2552] , dénomination
devenue si familière aux Romains, qu’ils ne se rappelaient plus spa origine
servile et humiliante. Ce prince, à qui les débris de la république inspiraient
un sentiment de respect, chérissait l’office ou plutôt le nom de consul ; il
adopta par choix et par inclination la conduite qu’Auguste avait suivie par
prudence. Aux calendes de janvier, les nouveaux consuls Mamertin et Nevitta
vinrent, dès le point du jour, présenter leurs respects à l’empereur. Quand on
l’eut informé de leur approche, il descendit de son trône, alla au devant
d’eux, et força les magistrats embarrassés de recevoir les démonstrations de
son humilité affectée. Du palais ils allèrent au sénat ; l’empereur à pied
marchait devant leurs litières ; et la foule du peuple étonné admirait l’image
des anciens temps, ou blâmait peut-être en secret une conduite qui dégradait à
ses yeux l’éclat de la pourpre [2553] .
Mais Julien ne se démentit dans aucune occasion. Tandis qu’il assistait un jour
aux jeux du cirque, il affranchit, ou par inadvertance, ou peut-être à dessein,
un esclave en présence du consul. Dès qu’on l’eut averti qu’il empiétait sur la
juridiction d’un autre magistrat, il se condamna lui-même à payer une amende de
dix livres d’or, et saisit celte occasion de prouver qu’il était, comme tous
les citoyens soumis aux lois et même aux formes de la république [2554] . Des vues
d’administration, et son respect pour le lieu de sa naissance, déterminèrent Julien
à conférer au sénat de Constantinople les honneurs, les privilèges et
l’autorité dont le sénat de Rome jouissait encore exclusivement [2555] . On supposa que
la moitié du conseil national était passée en Orient, et cette fiction légale
s’établit insensiblement dans l’opinion. Les successeurs despotiques de Julien
acceptèrent le titre de sénateurs, et se reconnurent membres d’un corps
respectable, qui conservait le droit de représenter la majesté du nom romain.
L’attention du monarque ne se borna pas à Constantinople, elle s’étendit sur
les sénats municipaux des provinces. Il supprima par plusieurs édits les
exemptions injustes et pernicieuses qui éloignaient une foule de citoyens
oisifs du service de leur pays ; et, par une distribution égale des charges publiques,
il rendit la force et l’éclat, ou, pour nous servir de la brillante expression
de Libanius [2556] ,
il rendit l’âme et la vie aux villes expirantes de l’empire. La vénérable
antiquité de la Grèce inspirait à Julien une tendresse respectueuse, qui
éclatait en transports, au souvenir des dieux, des héros, et des hommes
supérieurs
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