Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
aux héros et aux dieux, qui avaient légué à la dernière postérité
les monuments de leur génie ou l’exemple de leurs vertus. Par ses soins
paternels, les villes de l’Épire et du Péloponnèse [2557] furent
soulagées, et reprirent une partie de leur ancienne splendeur. Athènes le
reconnaissait pour son bienfaiteur, et Argos avouait quelle lui était redevable
de sa délivrance. L’orgueilleuse Corinthe, sortant de ses ruines avec le titre
honorable de colonie romaine, exigeait rigoureusement un tribut des républiques
voisines, pour défrayer les jeux de l’isthme qui se célébraient dans son
amphithéâtre par une chasse d’ours et de panthères. Les villes d’Élis, de
Delphes et d’Argos, chargées par leurs ancêtres de perpétuer les jeux
olympiques, les jeux pythiens et ceux de Némée, réclamaient avec justice
l’exemption du tribut Les Corinthiens respectèrent les privilèges d’Élis et de
Delphes ; mais la pauvreté d’Argos enhardit les violences de l’oppression, et
la sentence du magistrat de la province, qui ne consultait que l’intérêt de la
capitale où il faisait sa résidence, imposa silence aux plaintes des timides
députés. Sept ans après cette sentence, Julien en admit l’appel [2558] au tribunal
supérieur, et il employa son éloquence, probablement avec succès, à défendre la
capitale d’Agamemnon [2559] ,
qui avait donné à la Macédoine une racé de héros et de conquérants [2560] .
Julien exerçait ses talents dans les travaux de
l’administration civile et militaire, qui se multipliaient en proportion de
l’étendue de l’empire, et il faisait en outre les fonctions de juge [2561] et d’orateur [2562] , à peine
connues des souverains de l’Europe moderne. L’art de la persuasion, si cultivé
par les premiers Césars, avait été négligé par l’ignorance guerrière et par
l’orgueil asiatique de leurs successeurs ; s’ils daignaient haranguer des
soldats qu’ils craignaient, ils gardaient un silence dédaigneux avec les
sénateurs qu’ils méprisaient. Julien regardait les assemblées du sénat, que
Constance avait évitées, comme le lieu le plus propre à faire briller ses
maximes républicaines et ses talons de rhéteur. Il y employait tour à tour les
tons de la censure, de la louange et de l’exhortation, comme dans une école de
déclamation. Son ami Libanius a remarqué que l’étude d’Homère lui avait appris
à imiter le style simple et concis de Ménélas, l’abondance de Nestor, dont les
paroles descendaient comme les flocons de la neige en hiver, et l’éloquence
pathétique et victorieuse d’Ulysse. Julien se livrait, non seulement par
devoir, mais par amusement, aux fonctions de juge, qui sont quelquefois
incompatibles avec celles d’un souverain ; et quoique l’intégrité et le
jugement de ses préfets du prétoire méritassent sa confiance, souvent, assis
auprès d’eux, il écoutait leurs jugements. La vive pénétration de son esprit se
plaisait, à découvrir les ruses et à déconcerter les chicanes des avocats, qui
tâchaient de déguiser la vérité des faits, ou de corrompre l’esprit de la loi.
Il dérogeait quelquefois à la majesté de son rang, en hasardant des questions
indiscrètes et déplacées, et trahissait l’impétuosité de ses- passions par les
éclats de sa voix, ou par la vivacité de ses gestes, quand il soutenait un avis
contraire à celui des juges, des avocats ou de leurs clients. Mais, connaissant
le vice de son propre« caractère, il encourageait, il ordonnait même à ses amis
et à ses ministres de l’en avertir ; et quand ils hasardaient d’arrêter
les écarts de sa vivacité, les spectateurs apercevaient avec satisfaction la
honte et la reconnaissance de leur souverain. Julien fondait presque toujours
ses décrets sur des principes de justice, et il résista constamment aux deux
plus dangereuses tentations qui assiègent le tribunal d’un monarque, sous la
forme séduisante de l’équité et de la compassion. Il jugeait les causes sans
égard à la condition des parties, et quoique disposé à soulager le pauvre, il
le condamnait sans hésiter, quand la cause du riche adversaire était la plus
juste. Il distinguait avec soin le juge du législateur [2563] ; et, quoiqu’il
méditât une réforme nécessaire dans la jurisprudence romaine, il prononçait ses
sentences conformément au sens strict et littéral des lois établies, qui
devaient servir de règle aux magistrats et
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