Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
lieu
de convenir qu’il avait perdu la vie par le dard d’un Persan, leur indiscrétion
attribuait ce grand exploit à la main cachée de quelque champion mortel ou
immortel de la foi [2835] .
La malveillance ou la crédulité de leurs adversaires adoptèrent avidement cette
imprudente déclaration [2836] .
Ceux-ci insinuèrent secrètement ou assurèrent avec confiance que les chefs de
l’Église avaient excité ou dirigé la main d’un assassin domestique [2837] . Seize ans
après la mort de Julien, cette accusation fut renouvelée avec appareil et avec
véhémence par Libanius, dans un discours public adressé à, l’empereur Théodose.
Le sophiste d’Antioche ne cite point de faits ; il ne donne pas de bonnes
raisons, et on ne peut estimer que son zèle généreux pour les cendres
refroidies d’un ami qu’on oubliait [2838] .
D’après un ancien usage, dans les cérémonies des funérailles
et du triomphe des Romains, la voix de la satire et du ridicule venait modifier
celle de la louange. Au milieu de ces pompes éclatantes qui étalaient la gloire
des vivants ou celle des morts, on dévoilait leurs imperfections à l’univers [2839] . C’est ce qu’on
vit à l’enterrement de Julien. Les comédiens, se souvenant de son aversion et
de son mépris pour le théâtre, représentèrent et exagérèrent, avec
l’applaudissement des chrétiens, les fautes et les bizarreries du défunt
empereur. Les inconséquences de soit caractère et la singularité de ses
manières ouvrirent un vaste champ à la plaisanterie et au ridicule [2840] . Dans
l’exercice de ses talents extraordinaires, il avait souvent dégradé la majesté
de la pourpre. Alexandre s’était transformé en Diogène, et le philosophe
s’était abaissé aux emplois d’un prêtre. Son excessive vanité avait nui à la
pureté de ses vertus ; ses superstitions avaient troublé la paix et compromis
la sûreté d’un vaste empire ; et ses saillies irrégulières avaient d’autant
moins de droits à l’indulgence, qu’on y voyait les laborieux efforts de l’art
et même ceux de l’affectation. Son corps fut enterré à Tarse en Cilicie ; mais
le vaste tombeau qu’on lui éleva sur les bords du froid et limpide Cydnus [2841] ne satisfit pas
les fidèles amis que cet homme extraordinaire laissait si pénétrés d’amour et
de respect pour sa mémoire. Le philosophe témoignait le désir bien raisonnable
de voir le disciple de Platon reposer au milieu des bocages de l’académie [2842] ; et le
guerrier s’écriait avec hardiesse qu’on devait placer les cendres de Julien à
côté de celles de César, dans le Champ-de-Mars, et parmi les anciens monuments
de la valeur romaine [2843] .
Il est rare que l’histoire des princes donne lieu à de semblables discussions.
Chapitre XXV
Gouvernement et mort de Jovien. Élection de Valentinien. Il associe son frère
Valens au trône. Division définitive des empires d’Orient et d’Occident.
Révolte de Procope. Administration civile et militaire. L’Allemagne, la Bretagne
(aujourd’hui l’Angleterre), l’Afrique, l’Orient, le Danube. Mort de
Valentinien. Ses deux fils, Gratien et Valentinien, succèdent à l’empire
d’Occident.
LES affaires publiques de l’empire se trouvèrent, à la mort
de Julien, dans une situation précaire et dangereuse. Jovien sauva l’armée
romaine au moyen d’un traité honteux, mais peut-être nécessaire [2844] , et sa piété
consacra les premiers instants de la paix à rétablir la tranquillité, dans
l’Église et dans l’État. L’imprudence de son prédécesseur n’avait fait, que
fomenter les discordes religieuses qu’il feignait de vouloir apaiser, et la
balance exacte qu’il affectait de tenir entre les partis ne servit qu’à
perpétuer leurs débats par des alternatives de crainte et d’espoir, et par la
rivalité des prétentions qui se fondaient d’un côté sur une longue possession,
de l’autre sur la faveur d’un souverain. Les chrétiens oubliaient tout à fait
le véritable esprit de l’Évangile, et l’esprit de l’Église avait passé chez les
païens. La fureur aveugle du zèle et de la vengeance avait éteint dans les
familles tous les sentiments de la nature. On corrompait, on violait les lois ;
le sang coulait dans les provinces d’Orient, et l’empire n’avait pas de plus
redoutables ennemis que ses propres citoyens. Jovien élevé dans les principes
et dans l’exercice de la foi chrétienne ; fit déployer
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