Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
l’étendard de la croix à
la tête des légions dans sa marche de Nisibis à Antioche, et le labarum de Constantin annonça aux peuples les sentiments religieux du nouvel empereur.
Dès qu’il eut pris possession du trône, il fit passer aux gouverneurs de toutes
les provinces une lettre circulaire dans laquelle il confessait les vérités de
l’Évangile, et assurait l’établissement légal de la religion chrétienne. Les
insidieux édits de Julien furent abolis, les immunités ecclésiastiques furent
rétablies et étendues [2845] ,
et Jovien voulut bien exprimer ses regrets de ce que le malheur des
circonstances l’obligeait à retrancher une partie des aumônes publiques. Les
chrétiens chantaient unanimement les louanges du pieux successeur de Julien ;
mais ils ignoraient encore quel symbole ou quel concile le souverain choisirait
pour règle fondamentale de la foi orthodoxe ; et les querelles religieuses,
suspendues par la persécution, se rallumèrent avec une nouvelle fureur aussitôt
que l’Église se vit à l’abri du danger. Les évêques des partis opposés se
hâtèrent d’arriver à la cour d’Édesse ou d’Antioche, convaincus par
l’expérience qu’un soldat ignorant se déterminait parles impressions, et que
leur sort dépendait de leur activité. Les chemins des provinces orientales
étaient couverts de prélats homoousiens, ariens ou semi-ariens et eunomiens,
qui tâchaient réciproquement de se devancer dans leur course pieuse : ils
remplissaient de leurs clameurs les appartements du palais, et fatiguaient et
étonnaient peut-être l’oreille de l’empereur d’un singulier mélange d’arguments
métaphysiques et de violentes invectives [2846] .
Jovien leur recommandait l’union et la charité, et les renvoyait à la décision
d’un futur concile. Sa modération était regardée comme une preuve de son
indifférence ; mais il fit bientôt connaître soir attachement à la foi de Nicée
par le profond respect qu’il montra pour les vertus célestes [2847] du grand saint
Athanase. Cet intrépide vétéran de la foi était sorti de sa retraite à l’âge de
soixante-dix ans, aussitôt qu’il avait appris la mort de son persécuteur. Il
était remonté sur son trône archiépiscopal aux acclamations du peuple, et avait
sagement accepté ou prévenu l’invitation de Jovien. La figure vénérable de
saint Athanase, son courage tranquille et son éloquence persuasive, soutinrent
la réputation qu’il avait successivement acquise à la cour de quatre souverains [2848] . Après s’être
assuré de la confiance et de la foi de l’empereur chrétien, il retourna glorieusement
dans son diocèse d’Alexandrie, qu’il gouverna pendant dix ans avec une sagesse
mûrie par l’expérience, et une fermeté dont l’âge n’avait rien diminué [2849] . Avant de
quitter Antioche, il assura Jovien qu’un règne long et tranquille serait la
récompense de sa dévotion orthodoxe. Le prélat était persuadé, sans doute que
dans le cas ou des événements contraires lui ôteraient le mérite de la
prédiction, il lui resterait toujours celui d’un vœu dicté par la
reconnaissance [2850] .
Dans la marche des événements, le mouvement le plus léger
employé a diriger ou a précipiter un objet dans le sens de là pente sur
laquelle il est naturellement entraîné, acquiert bientôt un poids et une force
irrésistible. Jovien eut le bonheur ou la prudence d’embrasser les opinions
religieuses les plus conformes à l’esprit du temps, et celles que soutenaient
de leur zèle les nombreux adhérents de la secte la plus puissante [2851] . Le
christianisme obtint, sous son règne, une victoire facile et décisive, et le
paganisme, relevé et soutenu avec tant de soin et de tendresse par l’adresse de
Julien, privé désormais de la faveur dont .l’environnait le sourire du maître,
tomba dams la poussière pour ne s’en relever jamais. On ferma ou on déserta les
temples de la plupart des villes ; et les philosophes, qui avaient abusé d’une
faveur passagère, crurent qu’il était prudent de raser leur longue barbe et de
déguiser leur profession. Les chrétiens se virent avec joie maîtres de
pardonner ou de venger les insultes qu’ils avaient souffertes sous le règne précédent [2852] . Mais Jovien
dissipa les terreurs des païens par un édit sage et bienveillant, qui, en
proscrivant avec sévérité l’art sacrilège de la magie, accordait à tous ses
sujets l’exercice libre
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