Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
fils avait été placé, quoique enfant, dans la
chaise curule, honoré du nobilissime et des vaines décorations du
consulat. Il avait reçu de son grand-père le nom de Varronien. Trop jeune pour
connaître la fortune, ce fut seulement aux soupçons inquiets du gouvernement,
qu’il put se rappeler qu’il était fils d’un empereur. A l’âge de seize ans il
vivait encore, mais on lui avait déjà fait perdre un œil ; et sa malheureuse
mère tremblait à tout moment qu’on ne vînt arracher de ses bras cette victime
innocente, pour tranquilliser, par sa mort, la méfiance du prince régnant [2861] .
Après la mort de Jovien, le trône du monde romain demeura [2862] dix jours sans
maître. Les ministres et les généraux tenaient toujours les conseils et
exerçaient les fonctions dont ils étaient spécialement chargés. Ils maintinrent
l’ordre public et conduisirent paisiblement l’armée à Nicée en Bithynie, où se
devait faire l’élection [2863] .
Dans uni assemblée solennelle, les officiers civils et militaires de l’empire
offrirent unanimement, pour la seconde fois, le diadème à Salluste, qui eut
encore la gloire de le refuser ; et lorsque, pour rendre hommage aux vertus du
père, on proposa de nommer son fils, le préfet déclara aux électeurs, avec la
fermeté d’un citoyen zélé, que le grand âge de l’un et la jeunesse sans
expérience de l’autre étaient également incapables des travaux pénibles du
gouvernement. On proposa plusieurs prétendants que firent rejeter
successivement différentes objections tirées de leur caractère et de leur
situation. Mais à peine eut-on prononcé le nom de Valentinien, que le mérite
reconnu de cet officier réunit en sa faveur tous les suffrages, que confirma la
sincère approbation de Salluste lui-même. Valentinien [2864] était fils du
comte Gratien, né à Cibalis en Pannonie, qui, par sa force extraordinaire et
par son adresse, était parvenu d’un état obscur au commandement militaire de
l’Afrique et de la Bretagne, d’où il s’était retiré avec une immense fortune et
une probité fort suspecte. Le rang et les services de Gratien avaient contribué
cependant à faciliter à son fils les premiers pas vers la fortune, et lui
avaient procuré l’occasion de déployer les utiles et solides qualités qui le
firent distinguer de tous ses compagnons d’armes. Valentinien avait la taille
haute ; sa personne était pleine de grâce et de majesté ; sa noble contenance,
animée de l’expression du courage et de l’intelligence, frappait ses ennemis de
crainte, et ses amis de respect. L’invincible courage de Valentinien était
secondé par une force de corps et de constitution qu’il avait héritée de son
père. Par cette habitude de tempérance et de chasteté qui dompte les passions
et augmente la vigueur des facultés de l’esprit et du corps, Valentinien avait
conservé sa propre estime et celle du public. Élevé dans les camps, au milieu
du tumulte des armes, ayant eu peu de loisir pour se livrer à la littérature,
il ignorait la langue grecque et les règles de l’éloquence ; mais, incapable de
crainte et d’embarras, il savait, toutes les fois que l’occasion le demandait,
exprimer avec autant de facilité que d’assurance des sentiments toujours
fermement arrêtés. Valentinien n’avait étudié que les lois de la discipline
milliaire ; et il se fit bientôt distinguer par son infatigable activité et par
la sévérité inflexible avec laquelle il exigeait des soldats l’exactitude dont
il donnait l’exemple. Sous le règne de Julien, il s’était audacieusement exposé
à sa colère par le mépris qu’il montrait publiquement pour la religion de cet
empereur [2865] .
L’examen de sa conduite postérieure donna lieu de penser que son indiscrétion
fut plutôt l’effet de l’esprit militaire que d’un grand zèle pour le
christianisme. Julien lui pardonna et continua d’employer un homme dont il estimait
le mérite [2866] .
La réputation que Valentinien avait acquise sur les bords du Rhin prit lui
nouvel éclat dans les événements variés de la guerre de Perse. La célérité et
le succès avec lesquels il exécuta une commission importante, lui valurent la
faveur de Jovien et le commandement honorable de la seconde école ou compagnie
de ses gardes du palais. Parti d’Antioche avec l’armée, Valentinien était
arrivé dans ses quartiers d’Ancyre, lorsque, sans l’avoir prévu, sans crime et
sans
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