Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
et tranquille du culte et des cérémonies de l’ancienne
religion. L’orateur Themistius, envoyé par le sénat de Constantinople pour
porter au nouvel empereur l’hommage de son fidèle dévouement, nous a conservé
le souvenir de cette loi de tolérance. Il représente la clémence comme un des
attributs de la nature divine, et l’erreur comme inséparable de l’humanité. Il
appuie sur l’indépendance des sentiments, la liberté de la conscience, et
expose assez éloquemment les principes d’une tolérance philosophique, dont la
superstition elle-même, dans ses moments de détresse, ne dédaigne point
d’invoquer le secours. Il observe, avec raison, que dans leurs derniers
changements de fortune, les deux religions ont été également déshonorées par
d’indignes prosélytes, par de vils adorateurs de la puissance, qui passaient
avec indifférence, et sans rougir, de l’église dans le temple, et des autels de
Jupiter à la communion des chrétiens [2853] .
Les troupes romaines qui arrivaient à Antioche, en marche
depuis sept mois, avaient, dans cet espace de temps, fait une route d’environ
quinze cents milles, et souffert tous les maux que peuvent faire éprouver la
guerre, la famine et un climat brûlant. Malgré leurs services, leurs fatigués
et l’approche de l’hiver, l’impatient et timide Jovien n’accorda aux hommes et
aux chevaux que six semaines pour se reposer. L’empereur ne pouvait supporter
les railleries mordantes et indiscrètes des habitants d’Antioche [2854] . Impatient de
se trouver en possession du palais de Constantinople, il sentait la nécessité
de prévenir l’ambition des compétiteurs qui auraient pu s’emparer avant lui, en
Europe, de la souveraineté encore vacante. Mais il eut bientôt la satisfaction
d’apprendre que l’on reconnaissait unanimement son autorité depuis le Bosphore
de Thrace jusqu’à l’océan Atlantique. Par ses premières lettres expédiées de
son camp de Mésopotamie, il avait conféré le commandement militaire de la Gaule
et de l’Illyrie à Malarick, brave et fidèle officier de la nation des Francs,
et à son beau-père, le comte Lucilien, qui s’était distingué par le courage et
les talents qu’il avait déployés à la défense de Nisibis. Malarick refusa une
commission qu’il jugeait au-dessus de ses talents, et Lucilien fut massacré à
Reims dans une révolte imprévue des cohortes bataves [2855] . Mais Jovin,
maître général de la cavalerie, oubliant l’intention que l’empereur avait eue
de le disgracier, apaisa le tumulte par sa modération, et rassura la fidélité
chancelante des soldats. Le serment de fidélité fut prêté avec des acclamations
sincères, et les députés des armées d’Occident [2856] saluèrent leur
nouveau souverain au moment où il descendait du mont Taurus dans la ville de
Tyane en Cappadoce. De Tyane il se rendit à Ancyre, capitale de la province de
Galatie, où Jovien prit et donna à son fils, encore enfant, le titre de consul
et les ornements du consulat [2857] .
Ce fut à Dadastana [2858] ,
petite ville obscure, à une égale distance de Nicée et d’Ancyre, que l’empereur
trouva le terme fatal de son voyage et de son existence. Il alla se coucher
après un souper peut-être trop copieux, et on le trouva le lendemain matin mort
dans son lit. Il y eut différentes opinions sur la cause de cette mort. Les uns
l’attribuèrent à une indigestion occasionnée par la quantité de vin qu’il avait
bu, ou par la qualité des champignons qu’il avait mangés le soir précédent ;
d’autres prétendirent qu’il avait été suffoqué durant son sommeil par la vapeur
du charbon et par les exhalaisons malsaines qui sortirent des plâtres neufs
dont étaient couverts les murs de l’appartement [2859] . Les soupçons
de poison [2860] et d’assassinat n’eurent d’autre motif que le peu de recherches qui furent
faites sur la mort d’un prince dont le règne et la personne furent bientôt
oubliés. On transporta le corps de Jovien à Constantinople, dans les tombeaux
de ses prédécesseurs. Chariton, son épouse, et fille du comte Lucilien,
rencontra sur sa route cette lugubre procession. Elle pleurait encore la mort
violente de son père, et se flattait de sécher ses larmes dans les
embrassements d’un époux revêtu de la pourpre. Les angoisses de la tendresse
maternelle vinrent ajouter encore à sa douleur et à ses regrets. Six semaines
avant la mort de l’empereur, son
Weitere Kostenlose Bücher