Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
d’un magistrat aussi formidable
dégénère bientôt en despotisme. Dans le siècle de la superstition, le genre
humain, pour assurer ses droits, aurait pu tirer parti de l’influence du
clergé ; mais il existe une union si intime entré le trône et l’autel, que
l’on a vu bien rarement la bannière de l’Église flotter du côté du peuple : une
noblesse belliqueuse et, des communes inflexibles, attachées à leur propriété,
prêtes à la défendre les armes à la main, et réunies dans des assemblées
régulières, sont la seule digue qui puisse sauver une constitution libre des
attaques d’un prince entreprenant.
La constitution de la république romaine n’existait
plus ; la vaste ambition du dictateur l’avait renversée ; la main
cruelle du triumvir lui porta les derniers coups. Après la victoire d’Actium,
le destin de l’univers dépendit de cet Octave, surnommé César en vertu de
l’adoption de son oncle, et décoré ensuite du titre d’Auguste par la flatterie
du sénat. Le vainqueur était à la tête de quarante-quatre légions [226] , toutes
composées de vétérans [227] ,
pleines du sentiment de leurs forces, méprisant la faiblesse de la
constitution, accoutumées, pendant vingt ans de guerre, à répandre des flots de
sang et à commettre toutes sortes de violences ; enfin, passionnément dévouées
à la maison de César, dont elles avaient déjà reçu et dont elles attendaient
encore des récompenses excessives. Les provinces, longtemps opprimées par les
ministres de la république, soupiraient après le gouvernement d’un seul homme,
qui fût le maître et non le complice de cette foule de petits tyrans. Le peuple
de Rome, triomphant en secret de la chute de l’aristocratie, ne demandait que
du pain et des spectacles ; et il était séduit par la libéralité
d’Auguste, qui s’empressait de satisfaire ses désirs. Les plus riches habitants
de l’Italie avaient presque tous embrassé la philosophie d’Épicure ; ils
jouissaient des douceurs de la paix et d’une heureuse tranquillité, sans se livrer
aux idées de cette ancienne liberté si tumultueuse, dont le souvenir aurait pu
troubler le songe agréable d’une vie entièrement consacrée au plaisir. Avec sa
puissance, le sénat avait perdu sa dignité ; un grand nombre des plus
nobles familles étaient éteintes ; ce qui resta de républicains utiles et
zélés, avait péri dans les proscriptions ou les armes à la main, et cette
assemblée, ouverte à dessein à une multitude sans choix, était actuellement
composée de plus de mille personnes, qui déshonoraient leur rang, au lien d’en
être honorées [228] .
Lorsque Auguste n’eut plus d’ennemis, il montra, par le soin
qu’il prit de réformer le sénat, qu’il ne voulait pas être le tyran de sa
patrie, mais qu’il aspirait à en être le père. Élu censeur, de concert avec son
fidèle Agrippa, il examina la liste des sénateurs ; il en chassa un petit
nombre, dont les vices ou l’opiniâtreté exigeaient un exemple public. Près de
deux cents, à sa persuasion, prévinrent, par une retraite volontaire, la honte
d’une expulsion. Il fut ordonné que l’on ne pourrait entrer dans le sénat sans
posséder environ dix mille livres sterling. De nouvelles familles patriciennes
remplirent le vide qu’avaient occasionné les fureurs des guerres civiles. Enfin
Auguste se fit nommer prince du sénat, titre honorable, que les censeurs
n’avaient jamais donné qu’au citoyen le plus distingué par son crédit et par
ses services [229] .
Mais en même temps qu’il rétablissait la dignité de ce corps respectable, il en
détruisait l’indépendance. Les principes d’une constitution libre sont perdus à
jamais lorsque l’autorité législative est créée par le pouvoir exécutif [230] .
Devant cette assemblée, ainsi préparée et formée selon ses
vues, Auguste prononça un discours étudié, .où l’ambition était cachée sous le
voile du patriotisme. Il déplorait, mais cherchait à excuser sa conduite
passée. La piété filiale avait exigé, qu’il vengea le meurtre de son
père ; son humanité s’était trouvée quelquefois obligée de céder aux lois
cruelles de la nécessité ; il s’était vu forcé de s’unir à d’indignes
collègues. Tant qu’Antoine avait vécu, il avait dû défendre la république de la
domination d’un Romain dégénéré et d’une reine barbare. Libre maintenant de
satisfaire à la fois à son
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