Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
empereurs imitèrent son exemple. Les consuls avaient succédé aux
premiers rois de Rome ; ils représentaient la nation, avaient l’inspection
sur les cérémonies de la religion, levaient et commandaient les armées,
donnaient l’audience aux ambassadeurs étrangers, et présidaient aux assemblées
du sénat et du peuple. L’administration des finances leur était confiée ;
et quoiqu’il leur fût rarement possible de rendre la justice en personne, la
nation voyait en eux les défenseurs suprêmes des lois, de la paix et de
l’équité. Telles étaient leurs fonctions ordinaires ; mais ce premier
magistrat se trouvait au-dessus de toute juridiction, dès que le sénat lui
enjoignait de veiller à la sûreté dé la république : alors, pour conserver
la liberté, il exerçait un despotisme momentané [241] .
Les tribuns s’offraient à tous égards sous un aspect
différent de celui que présentait la dignité de consul : leur apparence
extérieure était humble et modeste, mais leur personne était sacrée ; ils
avaient moins de force pour agir que pour repousser. Chargés par leur institution
de défendre les opprimés, de pardonner les offenses et d’accuser les ennemis du
peuple, ils pouvaient, lorsqu’ils le jugeaient à propos, arrêter d’un seul mot
toute la machine du gouvernement. Tant que la république subsista, l’on n’eut
rien à redouter du crédit que des citoyens auraient pu retirer de ces places
importantes. Elles étaient entourées de plusieurs barrières : l’autorité
qu’elles donnaient expirait au bout d’un an ; on élisait deux consuls, les
tribuns étaient au nombre de dix ; et comme les vues publiques et
particulières de ces différents magistrats se trouvaient diamétralement
opposées, cette divergence d’intérêts, loin de détruire la constitution,
contribuait à en maintenir la balance toujours égale [242] ; mais lorsque
les puissances consulaire et tribunitienne furent réunies, lorsqu’une seule
personne s’en trouva revêtue pour toute sa vie, lorsque le général de l’armée
devint en même temps le ministre du sénat et le représentant du peuple, il fut
impossible de résister à l’autorité impériale ; on eût même entrepris
difficilement d’en tracer les limités.
A cette accumulation d’honneurs, la politique d’Auguste
ajouta bientôt les brillantes et importantes dignités de grand pontife et de
censeur. L’une lui donnait le droit de veiller la religion, l’autre une
inspection légale sur les mœurs et sur les fortunes du peuple romain. Si la
nature particulière de tant de pouvoirs distincts, et jusqu’alors séparés l’un
de l’autre, apportait quelque obstacle à leur réunion dans une même main, la
complaisance du sénat était prête à faire disparaître ces inconvénients et à
remplir tous les intervalles par les concessions les plus étendues. Les
empereurs étaient les premiers ministres de la république : comme tels,
ils furent dispensés de l’obligation et de la peine de plusieurs lois
incommodes. Ils pouvaient convoquer le sénat, proposer dans le même jour
plusieurs questions, présenter les candidats destinés aux grandes charges,
étendre les limites de la ville, disposer à leur gré des revenus de l’État,
faire la paix et la guerre, ratifier les traités : enfin, en vertu d’un
pouvoir encore plus étendu, il leur était permis d’exécuter ce qui leur
paraissait être le plus avantageux a l’empire, et convenir le mieux à la
majesté des lois du gouvernement et de la religion [243] .
Lorsque toutes les différentes branches de la puissance
exécutive eurent été remises à un seul chef, les autres magistrats languirent
dans l’obscurité. Dépouillés de leur autorité, à peine même leur laissait-on la
connaissance de quelques affaires. Auguste conserva avec le plus grand soin le
nom et les formes de l’ancienne administration. On élisait tous les ans, avec
les cérémonies ordinaires, le même nombre, de consuls, de préteurs et de
tribuns [244] ,
qui tous continuaient à exercer quelques-unes des fonctions les moins
importantes de leur charge. Ces honneurs excitaient encore la frivole ambition
des Romains. Les empereurs mêmes, quoique revêtus pour toute leur vie du
consulat, se mettaient souvent sur les rangs pour obtenir ce titre, et ils ne
dédaignaient pas de le partager avec les plus illustres d’entre leurs
concitoyens [245] .
Durant le règne d’Auguste on souffrit que
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