Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
tout ce qu’il avait fait [236] . Tel était le
pouvoir dont jouissaient, légalement ou par usurpation, les généraux des armées
romaines sur les soldats et sur les ennemis de la république. Ils étaient en
même temps gouverneurs, ou plutôt souverains, des provinces conquises ; ils
réunissaient l’autorité civile et militaire, administraient la justice, étaient
chargés de la direction des finances, et exerçaient la puissance exécutive et
législative de l’État.
D’après ce que nous avons déjà rapporté dans le premier
chapitre de cet ouvrage, on peut se former une idée des armées et des provinces
de l’empire, lorsque Auguste prit en main les rênes du gouvernement. Comme il
eût été impossible à ce prince de commander en personne les légions répandues
sur des frontières éloignées, il obtint, comme Pompée, la permission de confier
son autorité à des lieutenants. Ces officiers paraissent avoir eu le même rang
et le même pouvoir que les anciens proconsuls ; mais leur commandement
était subordonné et précaire : ils tenaient leur commission des mains d’un
chef suprême, qui s’attribuait la gloire de leurs exploits ; ils
n’agissaient que sous ses auspices [237] ; en un mot, ils étaient les représentants de l’empereur, seul général de la
république, et dont l’autorité civile et militaire s’étendait sur tous les
domaines de Rome. Le sénat avait la satisfaction de voir que ses membres
jouissaient seuls de ces dignités importantes. Les lieutenants de l’empire
étaient choisis parmi les anciens consulaires, ou les anciens préteurs ;
les légions avaient à leur tête des sénateurs, et de tous les gouvernements de
provinces, il n’y eut que la préfecture d’Égypte qui fut confiée à un chevalier
romain.
Auguste venait d’être élevé au premier rang ; six jours
après, il résolut de satisfaire, par un sacrifice aisé, la vanité des
sénateurs. Il leur représenta que son pouvoir s’étendait même au delà des
bornes qu’il avait été nécessaire de tracer, pour remédier aux maux de l’État. On
ne lui avait pas permis , disait-il, de refuser le commandement pénible
des armées et des frontières, mais il insistait pour avoir la liberté de faire
passer les provinces plus tranquilles sous la douce administration du magistrat
civil . Dans la division des provinces, Auguste consulta également son
intérêt personnel et la dignité de la république. Les proconsuls nommés par le
sénat, et principalement ceux de l’Asie, de la Grèce et de l’Afrique,
jouissaient d’une distinction plus honorable que les lieutenants de l’empereur,
qui commandaient dans la Gaule ou en Syrie. Les premiers étaient accompagnés de
licteurs, ceux-ci avaient à leur suite des soldats [238] . Il fut
cependant statué par une loi que la présence de l’empereur suspendrait, dans
chaque département, l’autorité ordinaire du gouverneur. Les nouvelles conquêtes
devinrent une portion du domaine impérial, et l’on s’aperçut bientôt que la
puissance du prince, dénomination favorite d’Auguste, était la même dans toutes
les parties de l’empire.
En retour de cette concession imaginaire, Auguste obtint un
privilège important, qui le rendait maître de Rome et de l’Italie. Il fut
autorisé à retenir le commandement militaire, et à conserver auprès, de sa
personne une garde nombreuse, même en temps de paix et dans le centre de la
capitale ; prérogative dangereuse, qui renversait les anciennes maximes.
Il n’avait réellement d’autorité que sur les citoyens engagés dans le service
par le serment militaire ; mais les Romains étaient si portés à
l’esclavage, que les magistrats ; les sénateurs et l’ordre équestre,
s’empressèrent de prêter ce serment. Enfin, l’hommage de la flatterie fut
converti insensiblement en une protestation de fidélité, qui se renouvelait
tous les ans avec une pompe solennelle.
Auguste regardait la force militaire comme la base la plus
solide du gouvernement ; mais il ne pouvait se dissimuler combien un
pareil instrument devait paraître odieux. Son caractère et sa politique lui
firent adopter des mesures plus sages ; il aima mieux régner sous les tiares respectables
de l’ancienne magistrature, et rassembler sur sa tête tous les rayons épars de
l’autorité civile. Dans cette vue, il permit au sénat de lui donner pour sa vie
le consulat [239] et la puissance tribunitienne [240] .
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